dimanche 25 octobre 2009

Une morne lassitude...


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Les idées noires des profs chercheurs

Par Laurence Debril, publié le 23/10/2009 12:10 - mis à jour le 23/10/2009 15:15

« De janvier à juin, ils ont manifesté, râlé. Ils retrouvent labos et amphis,avec le même sentiment, amer, d'être ignorés, maltraités ou déclassés.

Durant près de dix ans, ils ont noirci des milliers de feuillets, ingurgité des kilos de livres en pensant à Pierre Bourdieu. Devenus, au terme d'un véritable parcours du combattant, chercheurs et/ou professeurs d'université, ils se retrouvent à 50 ans inconnus et désargentés.
Cette nouvelle année universitaire, ils l'attaquent donc avec une morne lassitude. Et les annonces de la ministre Valérie Pécresse, qui se félicite du climat serein de la rentrée, n'y changent rien. Certes, il n'y aura pas de suppressions de postes en 2010 ni en 2011, les salaires des maîtres de conférences sont revalorisés, des primes d'excellence scientifique seront attribuées, le budget de l'enseignement supérieur est à la hausse. Mais cela ne suffit pas pour soigner le blues d'une profession qui a perdu beaucoup de ses attraits. Le prestige de la fonction, passé dans la machine à rentabilité, en est sorti bien délavé.

Hier, l'enseignant-chercheur était une éminence à laquelle on s'adressait avec déférence. Aujourd'hui, c'est un jean-foutre geignard, qui, non content d'avoir un emploi à vie, s'offusque en plus qu'on lui demande de rendre des comptes. L'attaque de Nicolas Sarkozy le 22 janvier dernier -"Je ne veux pas être désagréable, mais, à budget comparable, un chercheur français publie de 30% à 50% de moins qu'un britannique"- a ouvert des plaies pas encore cicatrisées.

Ici, tout le monde s'en moque!

"Quand j'ai soutenu ma thèse sur la post-colonisation en Algérie, j'ai eu quelques heures de gloire, raconte Clarisse Buono, 38 ans, sociologue, auteur d'un drolatique Félicitations du jury (Privé). J'ai donné des interviews et mes parents ont enfin compris ce qui m'avait occupée tant d'années sans me rapporter d'argent. Mais le soutien moral et financier de l'entourage n'est pas illimité. Au bout d'un moment, on devient pathétique..." Ceux qui s'accrochent le font en prenant le risque de l'amertume. Olivier Coux, 49 ans, directeur de recherche au CNRS, en biologie, à Montpellier, lui, ne veut pas qu'on le plaigne : il est titulaire dans une profession qui se précarise de plus en plus. Pourtant, l'essentiel de son salaire, 3 000 euros, passe dans le remboursement de sa maison. Il n'a pas de secrétaire, partage un bureau de 6 mètres carrés avec un collègue, consacre l'essentiel de son temps à des tâches administratives - quand il ne nettoie pas lui-même son labo, faute de personnel habilité à faire le ménage dans les zones à accès limité... "En Allemagne, les chercheurs ont le mot "docteur" accolé à leur nom, sur leur carte d'identité. Ici, tout le monde s'en moque! s'amuse-t-il. On nous demande d'être en compétition avec les meilleurs labos du monde, mais nous n'avons même plus les moyens de réfléchir, d'échanger. Cela crée une frustration; les gens traînent des pieds pour venir au labo..."

A l'inverse de bien d'autres professions, une meilleure rémunération n'est pas la revendication principale même si les syndicats dénoncent une baisse du pouvoir d'achat. Le sentiment de déclassement des enseignants-chercheurs, fonctionnaires, concerne surtout leurs conditions de travail et leur position sociale.

"Vous avez un salaire peu élevé, mais, en contrepartie, vous avez le respect de la Nation et l'indépendance"

Elle est loin l'époque où, juste avant 1968, la rentrée à la Sorbonne s'effectuait au cours d'une cérémonie solennelle à laquelle les mandarins assistaient en toge, rouge pour le droit, groseille pour la médecine, amarante pour la science, jaune pour les lettres. En quarante ans, le nombre d'étudiants accueillis à l'université a été multiplié par huit, passant de 200 000 à 1,6 million. "La banalisation du métier a fait perdre de leur prestige aux enseignants-chercheurs, souligne François Dubet, directeur d'études à l'Ecole des hautes études en sciences sociales. Ils ont le sentiment que la société ne leur rend pas ce qu'ils lui donnent. Or, ce sont des individus qui ont choisi un métier par vocation, avec souvent un certain romantisme. L'instituteur de la IIIe République était très mal payé mais son rôle social était extrêmement valorisé."

Nous n'avons même plus les moyens de réfléchir d'échanger

Le blues de l'enseignant-chercheur est né de son sentiment progressif d'inutilité et d'abandon. "Jusqu'alors, le contrat implicite stipulait: " Vous avez un salaire peu élevé, mais, en contrepartie, vous avez le respect de la Nation et l'indépendance", note Bertrand Monthubert, mathématicien et secrétaire national à l'enseignement supérieur et à la recherche au PS. Or, il suffit de voir les locaux délabrés et les conditions de travail pour mesurer le manque de considération. Quant à la loi LRU, elle fait des enseignants-chercheurs des employés comme les autres, soumis au pouvoir du président d'université. Que reste-t-il aux universitaires?" Pas la gloire en tout cas : la société civile, elle aussi, s'est détournée d'eux. Peu intelligibles à la télévision, dont ils se méfient, et qui leur demande d'exposer en une minute trente des sujets auxquels certains ont consacré cinq ans, ils sont devenus moins audibles du public. "A part quelques grands noms épargnés, les chercheurs ne sont plus des leaders d'opinion, résume Clarisse Buono. Les valeurs de la société ont changé: l'argent et les paillettes l'ont emporté sur l'intelligence et la pensée. Nous souffrons d'une paupérisation des idées. Pour parler du racisme en banlieue, un jeune vivant à La Courneuve sera plus légitime qu'une chercheuse blonde aux yeux bleus qui travaille sur le sujet depuis des années. Le vécu prévaut."

Peu payée et déconsidérée, la recherche, surtout publique, attire de moins en moins. A la rentrée 2006, 15 824 étudiants étaient inscrits en doctorat de sciences humaines et sociales, contre 14 665 en 2008. Même si la démographie est aussi en cause, l'attractivité de l'université est en berne. "Avant, les meilleurs étudiants s'inscrivaient en masters de recherche ; aujourd'hui, ils privilégient les masters professionnels ou désertent carrément l'université pour d'autres formations, remarque Marine Rambach, coauteur des Nouveaux Intellos précaires (Stock). Le nombre de doctorants est lui aussi en baisse." Un problème qui n'existe pas aux Etats-Unis: "Ici, les universités sont des lieux de brassage et d'excellence, raconte le Français Philippe Aghion, professeur à Harvard. Les universitaires sont bien payés -jusqu'à 235 000 euros par an pour un prof d'une business school en économie- et enseignent très peu, 75 heures par an contre 128 heures pour les cours magistraux et 192 heures pour les travaux dirigés en France. Mais ils produisent aussi beaucoup plus, à tous les âges, et ne sont pas coupés de la société, car ils font du consulting, conseillent le gouvernement, sont écoutés et respectés." Valérie Pécresse le sait: la fin du déclassement viendra avec la fin de l'isolement. L'une des clés de la réhabilitation des enseignants- chercheurs passera par leur ouverture sur le monde et, surtout, par le renforcement du lien avec les entreprises. Et la société. »


Commentaire d'Yves Madiran :
« “ Aujourd'hui, c'est un jean-foutre geignard, qui, non content d'avoir un emploi à vie, s'offusque en plus qu'on lui demande de rendre des comptes. ” écrivez-vous avec commisération de l'universitaire. Cependant, si ma mémoire ne m'abuse, j'ai comme l'impression que, durant le mouvement du printemps dernier, l'Express n'a pas été le dernier magazine à hurler avec les loups contre les enseignants-chercheurs. Disons au moins qu'un tel article eût eu certainement plus d'impact au moment même des grèves, blocages, manifestations. Mais eût-il été alors politiquement correct ? Maintenant que la messe est dite, que la cause est entendue, et sans doute définitivement, il ne reste plus place qu'à la pitié. On touche là le fond du fond du mépris... »


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