vendredi 2 octobre 2009

Quoi de plus glorieux qu'un professeur ?

— « Je suis sérieux. Quoi de plus glorieux qu'un professeur ? Loin de moi l'idée de vouloir élever les esprits ou former la nation, ces assertions douteuses. Il n'y a pas grand chose à espérer lorsque lesdits esprits émergent de l'utérus déjà formatés pour la playstation. Non. Ce dont je parle, c'est du professeur comme seul être sur terre capable de construire un cadre autour de la vie — pas toute la vie, juste un fragment, un petit bout. Il organise l'inorganisable. Il le cloisonne en moderne et postmoderne, renaissance, baroque, primitivisme, impérialisme, etc. Il délimite ça par des devoirs, des partiels, des vacances. Quel ordre! C'est tout simplement divin. Songe à la symétrie d'un séminaire semestriel ; à ces termes : cours magistral, tutorat, séminaire de maîtrise, de troisième cycle, de doctorat. Et TD. TD, quel sigle merveilleux! Tu me trouves fou. Prends un Kandinsky. Ce n'est que confusion. Mets-lui un cadre, et voilà, il donne une touche d'originalité à la cheminée. Idem pour les lectures obligatoires. Et puis ces cours harmonieux et célestes qui culminent en la terrible merveille du contrôle final. Or qu'est ce qu'un contrôle final ? Un test de compréhension intime de concepts immenses. Il ne faut pas s'étonner que tant d'adultes rêvent de retourner à la fac, à ces dates de remises, à cette structure. Enfin une armature à laquelle se raccrocher ! Elle a beau être arbitraire, sans elle, nous sommes perdus, incapables de différencier le romantisme du victorien dans nos tristes existences dépourvues de sens... »
J'annonçais à papa qu'il avait perdu la tête. Il rit.
— « Tu verras, un jour, me dit il avec un clin d'œil. Et garde bien ça en tête. Arrange-toi toujours pour que tes affirmations soient référencées avec précision, et dès que possible, ajoute des supports visuels, car, crois moi, il y aura toujours un clown près du radiateur pour agiter comme une nageoire sa main dodue et protester : « Mais pas du tout, vous n'avez rien compris »...

Extrait de La physique des catastrophes, Marisha Pessl, traduit de l'américain par Laeticia Devaux, Éditions Gallimard, Paris, 2007, p 22.
Choisi par FloMad.
Pour en savoir plus, cf. Télérama :

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