mardi 21 juillet 2009

« Le mot réforme signifie désormais la mondialisation de l'exploitation des hommes par d'autres hommes. »

Demain, dans Le Monde.
Sera-t-il possible de sortir de cette « impasse » dénoncée dans cet article par Michèle Riot-Sarcey, c'est-à-dire, comme le disait Ishikawa Takuboku, du « blocage de l'époque » ? Takuboku qui avait affaire lui aussi à un système où les bien-pensants étaient sans doute presque les seuls en capacité de se faire entendre :

À un homme qui me considérait
Comme un poète n'étant d'aucune utilité en affaires
J'ai emprunté de l'argent !
  
Une poignée de sable, 1910

     
Les XXIV es Rencontres de Pétrarque à Montpellier organisées par France Culture et " Le Monde "
Il faut renouveler la pensée critique Le savoir n'est pas une marchandise

Tout semble dit lorsque l'on prononce le mot crise, comme si le mot suffisait à décrire une réalité dont aucune autorité ne souhaite rendre compte. La crise financière en particulier sert de prétexte au consensus national et international pour contourner l'obstacle de la catastrophe et ainsi éviter le grand débat critique qui devrait s'imposer. La dénégation du réel participe du discours dominant.

De quelle crise s'agit-il en effet ? L'analyse des experts recouvre d'un voile pudique une réalité sociale toujours plus inégale, une hiérarchie toujours plus effective dans un monde de compétition permanente qui ne cesse de réduire les plus faibles à l'impuissance. Les dysfonctionnements du système capitaliste servent à masquer une violence sociale inaugurée au XIXe siècle dans nos contrées, au nom de la philosophie du progrès.

Par exemple, sous couvert de description objective des déplacements de richesses du côté des pays dits émergents, la misère des ouvriers chinois, jugée inévitable, devient un simple dommage collatéral de la croissance industrielle. Il en était de même, au XIXe siècle, on s'en souvient, des conditions des prolétaires occidentaux. Quant à la spoliation des paysans africains, elle est sans importance aux yeux des observateurs avisés qui préfèrent insister sur la concurrence directe des Asiatiques qui s'emparent des terres d'Afrique.

Depuis longtemps, le langage ne dit pas la réalité des choses. Le concept ne sert plus à penser quand il est transformé, comme on le sait, en slogan publicitaire. L'ère est aux réformes dit-on. Des réformes qui doivent s'adapter au système, dans le sens de l'histoire dont on annonce régulièrement la fin. A-t-on oublié que les réformateurs du XIXe siècle, les Saint-Simon, les Fourier et autre Owen ont été désignés comme utopistes tant leurs propositions risquaient de bouleverser les rapports sociaux ?

ApproprRées par les acteurs de l'histoire en capacité de devenir sujet de leur propre destinée, les doctrines réformatrices ont servi, il est vrai dans un temps court, les volontés de ceux qui souhaitaient mettre fin à " l'exploitation de l'homme par l'homme ". Ils ont échoué. Le mot réforme signifie désormais la mondialisation de l'exploitation des hommes par d'autres hommes. Mais il est vrai que depuis plusieurs décennies, l'instrumentalisation de l'histoire a pris largement le pas sur l'exigence d'historicité.

Résister au courant actuel signifie s'obstiner contre la mise en pièces d'un savoir que l'on voudrait transformer en marchandises. Pendant plusieurs mois, nous avons tenté, en vain, d'alerter l'opinion sur la nécessité de conserver à l'université sa vocation d'apprentissage d'un savoir critique. L'appropriation des connaissances théoriques, historiques, littéraires, scientifiques est une nécessité pour tous et chacun, on le sait, ne serait-ce que pour faire face à la catastrophe qui s'annonce.

La lutte des universitaires, unanimes ou presque, tout comme celle des hospitaliers, avait pour objectif de garder au service public le sens de sa désignation : être au service du public, en fonctiondes besoins de tous. Les études, pas plus que la santé, ne peuvent être régies par des critères de rentabilité immédiate.

Sortir de cette impasse nous oblige à saisir comment nous en sommes arrivés là. Les intellectuels, au sens sartrien du terme, bien au-delà du vivier universitaire, auraient-ils abandonné leur fonction sociale ou plus fondamentalement l'intellectuel d'antan s'est-il définitivement mis au service d'un système où les bien-pensants sont les seuls en capacité de se faire entendre ?

Michèle Riot-Sarcey Historienne Université Paris-8 © Le Monde

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