samedi 11 juillet 2009

Des caméras vidéo dans toutes les salles de classe de France ?

Dans la revue de presse de ce jour du blog Cercle Tibet Vérité (Cf. « blogs que je suis » dans le profil du présent blog), on trouve l'article suivant paru dans Libération :

Liberation.fr // Société  / 08/07/2009 à 15h23

Les profs ont-ils le droit de désobéir?

INTERVIEW - En «résistance pédagogique», plusieurs enseignants passent en conseil de discipline pour leur refus d'appliquer les réformes Darcos. Que risquent-ils? Antony Taillefait, spécialiste du droit de la Fonction publique, apporte son expertise.

Recueilli par MARIE PIQUEMAL

Cette semaine, deux professeurs des écoles passent en conseil de discipline parce qu'ils refusent d’appliquer certaines réformes Darcos qu’ils jugent nuisibles pour les élèves.

Lancé en novembre dernier, le mouvement de «résistance pédagogique», qui rassemble quelque 3 000 enseignants et directeurs d’écoles ayant publiquement déclaré leur intention de «désobéir», s'oppose notamment aux deux heures de soutien individualisé aux élèves en difficultés que les enseignants doivent faire depuis la rentrée 2009 sans avoir reçu de formation particulière.

Que risquent ces fonctionnaires «désobéisseurs»? Que prévoit la loi? L’agent public est-il plus protégé qu’un salarié du privé? Les réponses d’Antony Taillefait, doyen de la faculté de droit de l’université d’Angers et auteur du précis Droit de la fonction publique (Dalloz).

Un fonctionnaire a t-il le droit de désobéir?

La loi du 13 juillet 1983 est très claire : «Tout fonctionnaire, quel que soit son rang dans la hiérarchie, est responsable de l'exécution des tâches qui lui sont confiées» (article 28). Il n’appartient pas à un agent public de discuter les ordres. Il n’a pas le droit de désobéir, sauf dans trois hypothèses prévues par la loi.

«Dans le cas où l'ordre donné est manifestement illégal et de nature à compromettre gravement un intérêt public.» En pratique, il est rare que ces deux conditions soient réunies. On compte une petite vingtaine de cas depuis 1945, pas plus. L’exemple caricatural: le principal du collège qui demande à son conseiller d’éducation de frapper un élève.

- Le fonctionnaire peut aussi faire usage de son «droit de retrait» quand il encourt un «danger grave et imminent pour sa vie ou pour sa santé». Là aussi, la jurisprudence est stricte. Les profs de Jussieu ont pu exercer leur droit de retrait à cause de l’amiante. En revanche, le juge a refusé le droit de retrait à un prof qui refusait de faire cours après l’agression d’un de ces collègues. 

-Enfin, le fonctionnaire est autorisé à désobéir en cas de harcèlement moral… à condition d’en apporter la preuve, ce qui est loin d’être simple. 

En l’espèce, que risquent ces profs en «résistance pédagogique» contre des réformes jugées «absurdes» et contraire à l’intérêt de l’enfant? 

Sur le plan juridique, c’est un refus d’obéissance caractérisé. Ces professeurs s’exposent donc à des sanctions sévères pouvant aller jusqu’à la révocation.

Mais seul l’inspecteur d’académie a le pouvoir d’engager des poursuites disciplinaires. Il a un pouvoir discrétionnaire en la matière, et peut par exemple estimer que sanctionner un prof est de nature à déstabiliser le corps professoral. Certains enseignants échappent ainsi à des sanctions…

Existe-t-il des précédents où des profs sont sanctionnés pour refus d’obéir ? 

Oui, plein. Il faut le savoir, la désobéissance est le principal motif de sanction des fonctionnaires. En refusant d’appliquer la loi, les enseignants risquent gros. J’ai plusieurs exemples en tête, comme ce prof qui faisait cours sur la pelouse en guise de protestation et qui a été condamné à six mois de suspension du droit d’exercer et six mois avec sursis. 

Le prof sanctionné a t-il un droit de recours ? 

Oui. La procédure est très encadrée. L’inspecteur d’académie engage les poursuites en saisissant le conseil de discipline, composé à parité de représentants de l’administration et des organisations syndicales.

La procédure est très codifiée, le conseil fonctionne un peu comme un tribunal avec des règles strictes. Le conseil entend tour à tour le professeur visé et son avocat. Puis, émet un avis de sanction. L’inspecteur d’académie conserve son pouvoir d’appréciation, c’est lui qui prononce la sanction. S’il ne suit pas l’avis du conseil de discipline, il doit le justifier.  

Un fonctionnaire qui désobéit est-il plus protégé qu’un salarié dans une entreprise ?

Non, juridiquement, l'agent et le salarié sont dans la même situation même si on ne peut pas vraiment comparer. Les intérêts en jeu ne sont pas du tout les mêmes. D’un côté, l’employeur raisonne en fonction des intérêts de son entreprise. Si un salarié ne fait pas son travail, l’impact sur la productivité est immédiat, la sanction aussi. Dans la fonction publique, c’est l’intérêt général qui est en jeu. En clair, un inspecteur d’académie ne peut pas fermer une école comme un entrepreneur met la clef sous la porte…

 
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Commentaires :
Il y a quelque chose d'effrayant dans cette exposition « sèche » des moyens de coercition, et surtout dans l'esprit qui semble y présider (l'esprit des lois...) ! Une clause telle que «  L’inspecteur d’académie conserve son pouvoir d’appréciation » n'est pas pour rassurer, même si ce pouvoir semble devoir s'exercer en tant que défense globale du corps de « fonctionnaire » qu'il a à gérer : « Il a un pouvoir discrétionnaire en la matière, et peut par exemple estimer que sanctionner un prof est de nature à déstabiliser le corps professoral. » Mais un pouvoir discrétionnaire censé s'exercer dans un rôle de défense des intérêts et libertés du corps considéré (on voit mal ce qui pourrait déstabiliser ce corps en dehors de la défense de ses libertés ou intérêts !), cela paraît assez contradictoire, voire problématique, inédit en tout cas...
Au début des années quatre-vingt-dix, au moment où faisaient rage (où commençaient à faire rage ?) le débat et les instructions sur les méthodes d'apprentissage de la lecture, je me souviens avoir entendu une institutrice de CP d'un groupe scolaire alsacien réputé avoir répondu à des parents d'élèves contestant ses méthodes (traditionnelles et syllabiques, je crois) : « On ne peut bien appliquer qu'une méthode à laquelle on croit ». Divine surprise : ce seul énoncé, dit d'une voix douce mais ferme, avait réussi à mettre un terme à toutes les critiques, et clore définitivement le débat. Voilà une sagesse qui semble se perdre ! Surtout en matière d'enseignement, comment transmettre avec enthousiasme un savoir dans des conditions, avec des méthodes auxquelles on ne souscrit pas intimement ?
En considérant l'évolution actuelle des « réformes » du monde éducatif, on peut comprendre enfin la réalité humaine et palpable de ce débat, de ce combat plutôt, mené dans l'Antiquité par Socrate/Platon contre les sophistes. Les sophistes, c'étaient les bons fonctionnaires de l'époque, payés pour enseigner un certain nombre de techniques et savoir-faire, indépendamment du savoir, et de l'enthousiasme révélateur d'une recherche et d'une transmission authentiques de ce savoir. 
Que va-t-il rester de l'Europe si, après avoir renié tout passé religieux, on en vient à s'attaquer maintenant à ses fondements humanistes si brillamment synthétisés à l'époque par Mme C***, institutrice alsacienne ?
Quels parents sauraient se complaire à l'idée que la maîtresse ou le maître de leurs enfants obéit sans conviction ni enthousiasme aucuns aux injonctions centralisatrices de Paris ? À l'idée qu'un enseignant doit être avant tout un bon fonctionnaire ?
La prochaine étape semble être, comme dans les boîtes à bachot privées japonaise, les caméras vidéos dans chaque classe, avec surveillance généralisée dans le bureau des directeurs, ainsi, bien sûr, que dans les inspections d'académie...

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