mercredi 29 juillet 2009

Dura lex, sed lex !

Je ne sais pourquoi, l'interview ci-dessous, parue dans Ouest-France : http://www.ouest-france.fr/actu/actu_BN_-L-universite-de-Caen-en-route-vers-l-autonomie-_8618-1019268_actu.Htm me fascine.

     C'est que Madame la présidente de l'université de Caen, tout en émettant de sérieuses réserves sur la LRU, n'en termine pas moins son propos en nous expliquant qu'elle est « incontournable » : Dura lex, sed lex ! Soulignons d'abord que ses réserves sont d'autant plus à prendre en considération qu'elles portent sur le mode de désignation qui lui a permis précisément de devenir présidente elle-même.
       Elle regrette, avec raison semble-t-il, puisqu'elle n'est apparemment pas la seule présidente ou le seul président d'université à le faire, une réduction drastique des membres des conseils d'administration des universités. Tous les acteurs de l'université ont, en effet, remarqué que cette réduction s'était faite au détriment de la représentation des personnels BIATOS (autres qu'enseignants) et de cette représentativité étudiante que Madame la présidente appelle par ailleurs de ses vœux, dans le même mouvement de l'interview.
     Elle déplore également que les présidents d'université soient élus par le seul conseil d'administration, et non plus, sans doute, bien qu'elle ne le dise pas, par les 3 conseils de l'université (Conseil scientifique et Conseil des études et de la vie universitaire). Mais l'on pourrait ici aller plus loin, aller jusqu'au bout de la logique gaullienne (déjà soulignée en son temps par Alain Touraine) qui régit la gouvernance universitaire depuis 1968, logique renforcée par l'idéologie présidentialiste de l'actuel gouvernement : le pouvoir renforcé des présidents d'université ne devrait-il pas induire plutôt une sorte de suffrage universel dans lequel chaque individu de la communauté universitaire, ou du moins une part plus grande de ladite communauté, ait l'impression d'être véritablement partie prenante ? Jusqu'à présent, on pourrait dire, sans grand risque de se tromper, que ces élections indirectes d'un président d'université à travers les conseils, telles  celles du président de la République par les grands électeurs avant la réforme gaullienne, ont toujours éloigné considérablement de la gouvernance universitaire les enseignants de base, pour ne pas parler des étudiants ! Pour ces derniers, quand Madame la présidente dit qu'ils « participent aux instances élues qui fonctionnent selon la loi », il ne s'agit là, évidemment, que d'un vœu pieux, d'une liberté toute formelle, tant le pourcentage des votants dans les élections des représentants étudiants est dérisoire (on a vu récemment combien il était difficile de faire voter ces étudiants, même pour un enjeu plus immédiat et crucial, comme pouvait du moins le paraître celui du déblocage des facs...)
      Par ailleurs, et point sans doute plus fondamental encore, qui dit « élection » devrait dire « système représentatif ». et c'est là le paradoxe le plus significatif d'une interview telle que celle de Madame la présidente de l'université de Caen, paradoxe dont nous avons commencé à montrer qu'elle s'y piège elle-même. Car, en fin de compte, est-elle une élue représentative de sa communauté, de son corps électoral et, de façon plus restrictive, de ses mandants ? Doit-elle défendre les intérêts de ses électeurs, porter leurs revendications, pour ne rien dire de ses propres réticences évoquées ci-dessus, au niveau de la représentation nationale et du gouvernement ? Ou, une fois élue, n'est-elle plus qu'un simple rouage administratif, un fonctionnaire d'autorité chargée d'appliquer sans état d'âme ni réserve la politique ministérielle, tel le recteur, ce préfet académique ? C'est là où le bât blesse, si l'on ose dire ! Mais, notons à la décharge des présidents d'université « élus » qu'ils sont dans le même paradoxe que les députés de la majorité dans le système gaullien révisé présidentialiste. C'est-à-dire qu'au fond, ils semblent ne plus jouer que le rôle de courroie de transmission.
     Autre point qui mérite sans doute commentaire : «  Quand une loi est votée, elle s'applique », nous explique Madame la présidente. mais c'est justement là tout le problème, tel qu'il s'est révélé à propos de la LRU. Loi cadre très générale à propos de laquelle un certain consensus pouvait se trouver, et incontestablement voté par la représentation nationale. Mais décrets d'application sans aucun contrôle ni de ladite représentation, ni des organes officiels élus de la corporation universitaire, décrets modifiables au gré des circonstances (et parfois jamais publiés quand la loi devient gênante...), comme on l'a vu, et sans doute porteurs d'une idéologie néo-libérale bien plus explicite et systématique que la loi elle-même. Admettons, toutefois, que cette dichotomie loi cadre votée/décrets contraignants sans aucun contrôle citoyen est un des piliers du régime constitutionnel actuel...
     Enfin, passons sur tous les sous-entendus budgétaires inquiétants qui se laissent entrevoir entre les mots, et revenons donc aux étudiants, puisqu'en somme, ce devrait être pour eux qu'on  réforme ! Là, Madame la présidente, peut-être dans un souci louable de s'assurer une bonne rentrée, se surpasse : « Pour les étudiants, les choses ne vont pas changer », nous dit-elle !
     Mais, on aura compris (on a déjà compris; « on a tout compris ») en tout cas qu'elles vont changer, et bien changer,  pour les enseignants-chercheurs, complètement oubliés et de leur présidente et de la journaliste dans la question des mouvements d'opposition : « Les étudiants se sont opposés à la loi LRU. Craignez-vous un nouveau mouvement ? » On semble déjà spéculer sur le fait qu'il n'y aura plus de nouveau mouvement d'enseignants ou de Biatos. Tout le monde, de ce côté là, est satisfait. Toute les incompréhensions sont levées : madame Pécresse nous aime !
CQFD


Normandie mercredi 29 juillet 2009 L'université de Caen en route vers l'autonomie
Archives « Ouest-France »/Jean-Yves Desfoux
Caen fait partie de la nouvelle liste des universités auditées.Objectif : élargir ses compétences en 2010-2011.
Quatre questions à... Josette Travert, présidente de l'université de Caen.

L'université de Caen autonome. Qu'en pensez-vous ?

La Loi relative aux libertés et responsabilités des universités (LRU) a été votée. L'université de Caen passe à son application. Mes réserves portaient sur le nombre de membres du conseil d'administration (ils sont passés de 60 à 30, NDLR) et le mode d'élection du président (uniquement par les membres du conseil d'administration, NDLR). La loi LRU est un outil qu'il faut savoir bien utiliser. Avec l'équipe d'administration, nous avons décidé d'entamer le processus d'autonomie. L'exemple des 18 universités pionnières permet de mesurer les difficultés. Leur retour d'expérience facilite le passage.

L'université sera auditée début 2010. En quoi cela consiste-t-il ?

L'audit est mené par l'IGAENR (Inspection générale de l'administration de l'Éducation nationale et de la recherche) qui examine l'université dans quatre domaines : gestion financière et comptable, gestion des ressources humaines, gestion patrimoniale et systèmes d'information. Il s'agit de savoir si la fac est prête à sauter le grand pas de l'autonomie. Un avis, assorti d'une recommandation, est ensuite délivré. L'université de Caen a beaucoup d'atouts. Depuis deux ans, on travaille dessus pour améliorer les procédures.

Quelles vont être les conséquences de l'autonomie ?

Pour les étudiants, les choses ne vont pas changer, l'offre de formation restera la même. L'université va se doter de compétences nouvelles notamment en matière de ressources humaines. Le personnel d'enseignement est toujours rattaché à l'État, mais son évolution est gérée par l'université. Ses responsabilités s'élargissent. Le budget global de l'université augmente puisqu'il inclut la gestion des emplois et la masse salariale.

Les étudiants se sont opposés à la loi LRU. Craignez-vous un nouveau mouvement ?

L'année dernière, les étudiants se sont présentés aux élections dans le cadre de la loi LRU. Ils participent aux instances élues qui fonctionnent selon la loi. On y est déjà ! Quand une loi est votée, elle s'applique. Les étudiants le savent. C'est incontournable.

Propos recueillis parLorène de SUSBIELLE.

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