mardi 2 juin 2009

ISHIKAWA Takuboku, Jidaiheisoku no genjô - Suite :

« Regardez ! Où pourrions-nous trouver aujourd’hui un chemin sur lequel avancer ? Supposons ici un jeune homme qui voudrait devenir enseignant. Il sait que l’éducation, c’est le sacrifice que consent une génération pour la génération suivante en lui offrant tout ce qu’elle possède. Pourtant, actuellement, l’éducation consiste uniquement à former des gens dont on a “ actuellement ” besoin. Et c’est ainsi que tout le travail que peut accomplir ce jeune homme en tant qu’enseignant, c’est seulement de répéter tout au long de sa vie le livre de lectures de la première à la dernière leçon, ou bien encore de faire des cours sur n’importe quelle autre matière en enseignant chaque jour qui passe jusqu’à la mort les bases les plus élémentaires. Et s’il s’avisait de vouloir faire autre chose, il ne pourrait plus alors appartenir au monde éducatif. Supposons encore un jeune homme qui voudrait autant que possible faire  d’importantes découvertes. Mais dans le monde d’aujourd’hui, toute découverte, en réalité, en même temps que tout effort, n’a absolument aucune valeur — tant qu’elle n’obtient pas l’aide de cette puissance mystérieuse qu’est le capital.

     La situation actuelle du blocage de l’époque ne s’arrête pas à ces seuls problèmes particuliers. Nos pères et nos frères aînés se réjouissent aujourd’hui de ce que l’esprit des étudiants ordinaires, en général, soit devenu sérieux. Mais ce sérieux ne vient-il pas uniquement du fait que tous les étudiants, aujourd’hui, dès lors qu’ils sont à l’université, ne peuvent pas désormais ne pas se soucier de leurs débouchés professionnels ? Et puis, bien qu’ils soient devenus aussi sérieux, chaque année, sur des centaines de diplômés* d’universités publique ou privées, la moitié, ne pouvant trouver de travail, ne perdent-ils pas leur temps à ne rien faire dans leur chambre d’étudiant ? Cependant, eux, ont encore de la chance ! Comme je l’ai dit auparavant,  d’innombrables jeunes gens, dix fois plus, cent fois plus nombreux encore, ne se voient-ils pas privés,  en cours de route, du droit de recevoir une éducation supérieure ? Leur éducation abandonnée en cours de route fait que leur vie entière s’arrête en cours de route. Et, en vérité, malgré toute la peine et tous les efforts qu’ils peuvent déployer leur vie durant, il ne leur est cependant pas permis de gagner un salaire mensuel de plus de 30 yens**. Bien entendu, on ne peut pas s’attendre à ce qu’ils se satisfassent de cette situation. C’est ainsi qu’au Japon, actuellement, une classe mystérieuse répondant au nom d’ “ oisive ” augmente de plus en plus en nombre. Actuellement, que l’on aille dans le village le plus reculé, et on y trouvera quatre ou cinq jeunes sortis du collège***. Et tout ce qu’ils trouvent à faire, en réalité, c’est de dilapider le patrimoine de leurs père et frère aîné ou de se perdre en vains bavardages. »


Notes :

* Évidemment, à l’époque où Takuboku écrit ce texte, la proportion des élèves d’une classe d’âge entrant à l’université est infime, surtout comparée à la situation actuelle. Il n’en est  que plus frappant de voir déjà s’installer des préoccupations identiques liées à la fois, et de manière que l’on peut superficiellement juger contradictoire, aux débouchés professionnels de l’enseignement universitaire et à son sens profond pour une civilisation, en dehors de toute cnsidération d’« actualité ». Il s’agit sans doute principalement, à cette époque aussi, de la situation des étudiants en lettres. Pour une satire de l’enseignement académique et sclérosé (déjà !) en littérature étrangère, on se reportera bien sûr au roman de NATSUME Sôseki, Sanshirô, publié 2 ans avant ce texte de Takuboku. Malicieusement, Sôseki fait porter sa critique sur un professeur étranger (anglais). On peut en effet réfléchir au fait que le Japon de Meiji, adoptant le système académique occidental, en importe aussi automatiquement les plus visibles travers.

** 30 yens correspondent à un salaire très insuffisant, puisqu’on estime qu’il fallait le double de cette somme pour faire vivre une famille.

*** dans l’ancien système scolaire, les collèges correspondaient aux actuels lycées. 


De l’extrait suivant (texte original consultable sur http://www.aozora.gr.jp/ ; traduction YMA, tous droits réservés, y compris pour les contresens), on retiendra particulièrement les phrases suivantes :


1. « actuellement, l’éducation consiste uniquement à former des gens dont on a “ actuellement ” besoin »


2. Un enseignant « s’il s’avisait de vouloir faire autre chose [que les manuels], il ne pourrait plus alors appartenir au monde éducatif. »


3. « dans le monde d’aujourd’hui, toute découverte, en réalité, en même temps que tout effort, n’a absolument aucune valeur — tant qu’elle n’obtient pas l’aide de cette puissance mystérieuse qu’est le capital. »


4. « Leur éducation abandonnée en cours de route fait que leur vie entière s’arrête en cours de route. »


Évidemment, pour ce qui est des étudiants en japonais, on peut douter que leur motivation essentielle, première, soit de rechercher et retrouver au sein de la pensée et de la littérature japonaises une universalité tout aussi essentielle et première de la pensée humaine au-delà de la particularité des époques et des contextes. On peut en douter, par exemple, en lisant l’article suivant du journal Sud-Ouest et portant sur Bordeaux :


http://www.sudouest.com/gironde/actualite/bordeaux/article/607003/mil/4597117.html


Mais nous retrouverons ISHIKAWA Takuboku, attiré comme on sait vers la fin de sa très courte vie, par les idées socialistes (de l’époque), dans les analyses d’un étudiant à l’Université de Caen Basse-Normandie, Aurélien Detey (Secrétaire Général du MSEA, Mouvement Socialiste Ecologiste Autogestionnaire). Je précise que je ne sais pas du tout ce qu’est le MSEA !


http://www.legrandsoir.info/article8666.html

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