lundi 24 août 2009

Une nouvelle sophistique : où comment le « ministère dixit » a remplacé » le « magister dixit »


Nous avons le plaisir de signaler à la sagacité de nos fidèles lecteurs, au cas où son existence leur aurait échappé, le livre tout à fait roboratif et réjouissant de Jean-Marc Mandosio, Après l’effondrement — Notes sur l’utopie néotechnologique, livre paru à Paris, en l’an de grâce 2000, aux Éditions de l’Encyclopédie des Nuisances. Jean-Marc Mandosio est maître de conférences à l’EPHE (École pratique des Hautes Études), et traitera au titre des conférences 2009-2010 du « De magia naturali de Jacques Lefèvre d’Étaples — textes alchimiques médiévaux », dans le cadre de la section « Sciences historiques et philologiques », sous-section « Latin technique du XIIe au XVIIIe siècle ».

C’est assez dire que, placé au cœur de l’institution, cet auteur est certainement un des mieux à même d’en percevoir, sinon l’effondrement, du moins les alchimies les plus mystérieuses et délétères...

Jean-Marc Mandosio est par ailleurs l’auteur (entre autres) d’un livre tout aussi réjouissant sur les avatars et avanies de la TGBNF, livre sur lequel nous ne manquerons pas de revenir : L'effondrement de la très grande bibliothèque nationale de France: Ses causes, ses conséquences (même éditeur, 1999).

En 2000, Jean-Marc Mandosio, dénonçait donc déjà un système d’évaluation scientifique dont la mise en place se voit aujourd’hui parachevée, institutionnalisée dans toutes ses dimensions négatives par les actuelles réformes gouvernementales dont, notamment, la création de l’AERES (Agence d’Évaluation de la Recherche et de l’Enseignement Supérieur) en mars 2007...

Après avoir montré comment sont officiellement financées et hautement évaluées des recherches aussi passionnantes et utiles à la société que celles démontrant, par exemple, les effets du chewing-gum sur le développement de la mémoire et de l’intelligence, ou bien encore ses vertus thérapeutiques amaigrissantes, Jean-Marc Mandosio remonte aux sources épistémologiques qui peuvent expliquer de tels phénomènes décadents :


« Ce que l’on appelle aujourd’hui un travail scientifique est, tout simplement, un travail publié dans une revue tenue pour scientifique par un individu ou une équipe appartenant à une institution dite de “ recherche ”. Ce n’est pas sur son contenu que l’on s’appuie pour le considérer comme scientifique, mais sur des critères absolument extérieurs, qui relèvent de l’argument d’autorité. Le C.N.R.S. et l’Université, bien en peine d’“ évaluer ” la production de leurs employés ou de ceux qui sont candidats à l’être, mettent désormais l’accent sur le nombre de publications d’un auteur et la fréquence des citations de ses travaux (évaluation “ bibliométrique ” établie à partir de répertoires statistiques internationaux) pour juger de sa valeur scientifique. Le recours à des critères aussi peu fiables comme mesure prétendument objective de la qualité est la conséquence de l’hyper-spécialisation des travaux, devenue telle que même les habituelles procédures de cooptation et d’“ évaluation par les pairs ” se révèlent inefficaces (outre que ces procédures, comme nous l’avons déjà indiqué, sont biaisées par des considérations — rivalités, retours d’ascenseur — qui n’ont rien à voir avec les qualités scientifiques des personnes ainsi évaluées).

Est donc “ scientifique ” celui dont la carte de visite dit qu’il l’est. Cette dissolution de tout critère de jugement au profit du seul principe d’autorité est la conséquence directe de la disparition progressive du souci d’objectivité dans les travaux scientifiques eux-mêmes. Le vieux dogmatisme scientiste ayant été — salutairement — démoli à coups de marteau par les « philosophes du soupçon », un relativisme épistémologique a surgi à sa place, d’abord avec le structuralisme, puis le déconstructionnisme postmoderne. Ce relativisme décrète que l’objectivité, la vérité, sont de pures illusions : les faits n’existent qu’en tant qu’ils sont des “ constructions ” de l’esprit — d’où la “ déconstruction ”, destinée à montrer que la vérité ne réside pas, comme l’ont naïvement cru les philosophes des siècles passés, dans la congruence d’une chose et de l’idée que nous nous en faisons, dans l’adéquation entre les idées et les faits, mais qu’elle n’est qu’une “ stratégie discursive ”, un appareil rhétorique produisant des “ effets de vérité ”. A l’affirmation “ il pleut ” proférée sous une pluie battante, un relativiste conséquent devra répondre : “ C’est votre opinion. ” Et il vous montrera que la structure de votre discours vise à susciter chez l’auditeur la persuasion qu’en effet, il pleut. La philosophie de notre époque, qui n’est rien d’autre qu’une sophistique, aboutit ainsi à légitimer la conception que les journalistes et les politiciens se font de la vérité : une question de point de vue. » (p. 96-97)


À méditer... (et merci à FloMad !)


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