mardi 25 août 2009

Misère intellectuelle...

C’est en l’an de grâce 2000 aussi, tout comme le livre de Jean-Marc Mandosio, Après l’effondrement — Notes sur l’utopie néotechnologique, dont nous avons rendu compte dans un précédent message, que paraissait, en ouverture du n°108/janvier-février de la prestigieuse revue « le débat » (Gallimard) un article signé par un professeur de philosophie de l’université de Caen, Jean-Fabien Spitz, et intitulé « Les trois misères de l’universitaire ordinaire ».

Jean-Fabien Spitz conclut une première partie portant sur « la misère matérielle » de l’université sur l’idée — ou le fait plutôt — que « l’Université française ressemble à celles du tiers monde plus qu’à celles des pays développés auxquels nous prétendons nous comparer ». Puis, avant d’aborder la troisième des misères qui accablent selon lui l’universitaire, la misère morale, il commence ainsi sa seconde partie traitant de la misère intellectuelle :


« Plus que la misère matérielle — qui peut avoir sa noblesse après tout —, c’est cependant la misère intellectuelle qu’il faut souligner. On l’a dit, la plupart des enseignants de l’Université sont des gens qui ont d’abord choisi de s’intéresser à un domaine, à une discipline, à un sujet, de consacrer leur vie à l’étudier et à l’enseigner. Or, soumis à l’alourdissement incessant de ses tâches diverses, à la multiplication des sessions d’examen, au bombardement continu de projets de réforme dont il finit par ne même plus savoir ce qu’ils contiennent et qui remplacent les précédents avant même que l’on ait pu, ne disons pas s’habituer, mais comprendre même leurs implications et leurs effets, l’universitaire perd toute passion intellectuelle car, il faut le dire, une telle passion ne s’épanouit que dans une relative protection et dans une relative quiétude. Si l’on veut que les enseignants-chercheurs conservent une part de leur énergie et de leur appétit de savoir, il faut leur offrir au moins la perspective d’accéder à des havres relatifs où cette protection et cette quiétude ne sont pas considérées comme des privilèges exorbitants, à des établissements qui leur permettraient de poursuivre leurs recherches sans être en permanence traversés par la question de la réforme des institutions où ils sont censés travailler.

Le premier signe de la misère intellectuelle en milieu enseignant est donc qu’on n’y entend aucune conversation, aucun échange de propos consacré aux objets dont les universitaires sont censés s’occuper. Partout, il n’est question que des modalités d’organisation ou de réorganisation (permanente) des enseignements, de la commission sur ceci, de la réunion sur cela, de la circulaire X qui contredit l’arrêté Y, etc. Passons sous silence ici, puisqu’il en a été question plus haut, le fait que la seule chose qui soit capable de sortir l’homo universitarius de sa profonde torpeur est le jeu byzantin auquel donnent lieu les réunions des fameuses commissions de spécialistes où l’on fait semblant de recruter les futurs collègues.

Ayons le courage de le dire : l’Université est un lieu où règne l’anti-intellectualisme, où les enseignants sont en butte à l’hostilité à peine dissimulée d’une bureaucratie d’aigris qui considèrent que le loisir dont certains universitaires veulent malgré tout continuer à jouir est un scandale pur et simple qui les autorise — eux — à ne rien faire et à montrer une totale incompétence et une totale inefficacité dans leurs tâches. »


Commentaires (non exhaustifs) :

Notons d’entrée de jeu que rien n’aura été fait pour remédier à ce constat. Tout aura été fait, au contraire pour aggraver, dans toute la mesure du possible, la misère intellectuelle et morale de l’universitaire (c’est au moins le sens minimal du long mouvement du printemps dernier...). Quant à la misère matérielle, le retard accumulé est tel que la réquisition de tous les bonus des traders des banques françaises ne suffirait sans doute pas à le combler (comparons par exemple le « milliard d'euros provisionnés par la BNP pour payer les bonus de ses traders en 2009 » (éditorial du Monde daté de ce jour) avec les 16 millions promis par Mme Pécresse pour l'informatique à l'université : 10 millions pour la wifi partout, et le reste pour la mise en ligne de cours...) !


1. « une telle passion ne s’épanouit que dans une relative protection et dans une relative quiétude. Si l’on veut que les enseignants-chercheurs conservent une part de leur énergie et de leur appétit de savoir, il faut leur offrir au moins la perspective d’accéder à des havres relatifs où cette protection et cette quiétude ne sont pas considérées comme des privilèges exorbitants »

C’est précisément cette relative quiétude (« il y a de la lumière, c’est chauffé... déjà fatigué » qu’a remis en cause le chanoine du Latran dans son fameux discours du 22 janvier dernier (cf. You Tub : http://www.youtube.com/watch?v=iyBXfmrVhrk) qui a mis le feu aux poudres dans l’université !

2. « le jeu byzantin auquel donnent lieu les réunions des fameuses commissions de spécialistes où l’on fait semblant de recruter les futurs collègues ».

Cf. notre précédent message du jeudi 23 juillet 2009 intitulé « L’Empire byzantin avant sa disparition ? » Précisons pour nos lecteurs peu informés des mœurs universitaires que si Jean-Fabien Spitz écrit que l’on « fait semblant » de recruter de futurs collègues, c’est que, dans l’immense majorité des cas, les jeux sont faits par avance au gré de téléphonages, tractations occultes, recommandations ou ostracismes non moins occultes, toutes pratiques frisant l’illégalité...

3. « une bureaucratie d’aigris qui considèrent que le loisir dont certains universitaires veulent malgré tout continuer à jouir est un scandale pur et simple qui les autorise — eux — à ne rien faire et à montrer une totale incompétence et une totale inefficacité dans leurs tâches. »

Ici sont visés en priorité les enseignants-chercheurs qui ont abandonné progressivement, ou brutalement, leurs recherches, et parfois aussi leurs enseignements, pour s’investir uniquement dans des tâches de direction administrative ou autre. Ceux-ci, en général, se montrent très contents des réformes actuelles qui leur donnent de meilleures perspectives de carrière et de rémunération, une meilleure reconnaissance institutionnelle, médiatique et sociétale (avant qu’ils ne soient remplacés par des représentants de la société civile et économique...). Cf. Le Monde daté du 18 août 2009 « Enseignant-chercheur — Les tâches autres que l'enseignement et la recherche officiellement reconnues » : « Les universités disposent désormais d'un barème national pour rémunérer les enseignants-chercheurs pour les tâches autres que l'enseignement et la recherche. L'arrêté reprenant le " référentiel " national d'équivalences horaires pour des tâches comme le tutorat, l'encadrement de stage ou la prise en charge d'équipe pédagogique a été publié au Journal officiel du 14 août. Demandé au printemps lors du mouvement contre le nouveau décret statutaire des universitaires, ce référentiel a été négocié avec les syndicats. © Le Monde »

Quand on lit cet encouragement officiel, cette prime à faire autre chose que, principalement, de l’enseignement et de la recherche, quand on prend conscience de cet embrigadement nationalement tarifé (où va l’autonomie ?), on comprend facilement que les attentes d’un Jean-Fabien Spitz, ou d’un Jean-Marc Mandosio, et de quelques autres, ne sont pas près d’être comblées !

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