vendredi 14 août 2009

Quand l'université sera devenue une entreprise...

Un entretien très intéressant a paru dans Le Monde daté du 14 août 2009. Francine Aizicovici y a recueilli les propos de Christophe Dejours, titulaire de la chaire psychanalyse-santé-travail au Conservatoire national des arts et métiers (CNAM), et coauteur, avec Florence Bègue, de Suicide et travail, que faire ?, à paraître le 2 septembre aux Presses universitaires de France (PUF).

Les titres de cet entretien, dépassant le cadre déjà terrible de France Télécom, nous invitent à réfléchir sur les effets possibles de la restructuration/privatisation larvée en cours dans l'université ou ailleurs :


" Le suicide au travail est le plus souvent lié à une transformation de l'organisation "

Le psychanalyste Christophe Dejours plaide pour une reconstruction du " vivre ensemble " et de la solidarité dans les entreprises.


Citons ici les trois dernières questions de l'entretien avec leurs réponses :


«— Les fragilités individuelles ne pèsent donc pas ?

— Chacun a ses fragilités. Il faut cesser de penser l'organisation du travail pour des êtres humains idéaux qui n'existent pas. C'est vrai qu'en général, le salarié qui se suicide a des difficultés personnelles. Mais expliquer ainsi son geste, comme le font les directions, c'est s'appuyer sur l'idée d'une coupure entre vie personnelle et vie au travail. Or, sur le plan psychique, elle n'existe pas. Quand quelqu'un souffre au travail, cela vient dégrader sa vie personnelle.

— La crise économique aggrave-t-elle le risque de suicides ?

— Nous n'avons pas de statistiques, mais la crise ne suffit pas à aggraver ce risque. Ce qui joue, c'est l'absence de remise en question d'une organisation du travail qui produit 300 à 400 suicides par an et une montée des pathologies mentales.

Que préconisez-vous ?

Il y a trente ou quarante ans, le harcèlement, les injustices existaient, mais il n'y avait pas de suicides au travail. Leur apparition est liée à la déstructuration des solidarités entre les salariés. Celles-ci ont été broyées par l'évaluation individuelle des performances, qui crée de la concurrence entre les gens, de la haine même. Cette évaluation doit être remise en question, et je connais des entreprises qui le font. Il faut se réinterroger sur ce qu'est le travail collectif, la coopération. Cette dernière passe par l'instauration de règles de métier, qui organisent le " vivre ensemble ". »


On notera que ce que les réformes en cours pour l'université prévoient de renforcer au maximum (car cela existait bien sûr déjà à assez bonne dose), c'est précisément « l'évaluation individuelle des performances ». Avec a priori les mêmes méthodes managériales que celles qui ont présidé aux privatisations de France Télécom, les présidents d'université devenant des chefs d'entreprise tout puissants. Sur un terreau aussi délicat psychologiquement que les universitaires (LOL?), bonjour les dégâts... Sans compter qu'il va y avoir la poste aussi, et tout le fonctionnariat, bientôt... Qui a dit déjà que tout ETAT divisé contre lui-même court à la ruine et que les maisons s'y écrouleront l'une sur l'autre ? Madame Boutin n'est plus là pour le leur rappeler, et il est douteux que le chanoine du Latran ait fait son programme des paroles de celui que nous citons ici !

Les méfaits d'une telle déstructuration sont donc bien connus, les remèdes aussi. Faudra-t-il attendre que les universités, et les entreprises privatisées s'écroulent l'une sur l'autre pour réagir ?

Puisqu'on parle de réagir, parmi les 11 réactions qu'a suscitées cet entretien sur l'édition abonnés en ligne du Monde, retenons-en une en particulier qui dessine très bien ce qui risque de s'accentuer encore davantage dans le fonctionnement journalier de nos universités, au détriment de ce qui serait le plus nécessaire pour la construction (ou plutôt reconstruction) d'équipes d'enseignement et de recherche vraiment solidaires et performantes :


Patrick G.

13.08.09 | 19h54


Ceux qu'on appelle les "petits chefs", les "lèche-bottes" pour être poli, ceux qui ont soif d'avancement, rapidement repérés par les chefs d'entreprise, ont vite fait de semer la discorde dans un service et de trouver celui qui deviendra le souffre-douleur. Le maillon faible, selon l'expression actuelle et vis à vis duquel certains prendront un malin plaisir à faire sauter. Pauvre société entièrement désunie et folle. Mais les fous ne sont pas ceux forcément auxquels nous pensons.


Le Monde en ligne illustre l'entretien d'une photo qui préfigure aussi peut-être le futur enseignant-chercheur au new look preppy que nous évoquions précédemment :






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