lundi 31 août 2009

On les laissera pousser sur leurs propres racines...

Non, tout de même, soyons plus optimistes sur l’éducation, la croissance et la maturité de l’être humain que dans le message précédent, où le désert, sur la photo (de quel grand photographe déjà ?) symbolisait à nos yeux plutôt le vide institutionnel et pédagogique vers quoi nous nous dirigeons que les possibilités réelles des individus.

Voyez, sur ce point, cette belle fable (enfin, c’est ainsi du moins qu’Etourneau l’a lue) trouvée dans Le Monde daté du Dimanche 9 - lundi 10 août, à la rubrique « Jardins & jardinières », sous le titre « Deux jumeaux si dissemblables ». En plus court, cela était déjà bien exprimé dans le tanka de TAWARA Machi que nous citions dans notre message du 14 juillet dernier :


Les parents disent qu'ils ont élevé leurs enfants

mais c'est en toute liberté que rougissent

les tomates des champs


« Les branches des deux gros pêchers croulent de fruits. Ils sont issus d'un semis fait au lancer de noyaux. Occupation ludique qui avait le don d'énerver la propriétaire du jardin qui les a vus naître. Cette jardinière pestait contre la manie qu'avaient ses enfants de jouer à celui qui cracherait le plus loin possible le noyau de la pêche qu'ils avaient fini de dévorer (les bushmen font bien ça avec des crottes de bique desséchées par le soleil). C'était moins pour les innombrables noyaux qu'elle retrouvait dans son jardin qu'elle pestait que pour le risque de voir ses rejetons s'étouffer en les avalant par mégarde.


Moches, pour être moches, ces deux arbres le sont : ils n'ont jamais été taillés autrement que dans le but de les rafistoler quand ils perdaient une branche trop lourde pour résister à un coup de vent ou un orage. Mais on les aime comme ça : l'un des deux penche du côté qu'il va tomber. C'est ce qu'on se dit depuis dix ans, mais il tient le coup.


Ils ont poussé très vite : avec l'âge, la force leur est venue, leurs nouvelles branches, toujours vigoureuses, sont plus costaudes. Leur tronc a forci ; son écorce s'est crevassée, et la cloque qui les ravageait a fini par les laisser tranquilles sans qu'on ait besoin de les pulvériser chaque printemps au débourrement des bourgeons pour les en protéger. Ils ont 20 ans et continuent de produire sans faillir, les années où le gel ne vient pas détruire leur floraison.


S'ils sont jumeaux, ils sont dissemblables : ils produisent des pêches identiques à des sanguines de Savoie : peau marron, tachée de rouge, chair bordeaux persillée de blanc, juteuse, sucrée, pas loin du sublime. Mais voilà, l'un des deux a des fruits de très gros calibre, mûrs dès la mi-septembre, quand l'autre a des fruits plus petits qui mûrissent un mois plus tard.


Hasard des semis de pêcher, arbre à noyaux qui, comme l'abricotier, réserve quelques surprises à qui le sème, et parfois produit une nouvelle variété apte à être cultivée. Les anciens, qui ne maîtrisaient pas toujours les lois de Mendel, semaient en grand nombre et sélectionnaient ensuite les arbres les mieux venus et les plus productifs.


Ces deux pêchers ont eut une nombreuse descendance, mais la plupart de leurs rejetons ont été arrachés. Une bonne vingtaine de plants ont cependant été distribués à des visiteurs de passage et deux beaux exemplaires ont été mis de côté. Ils vont être plantés non loin de là et conduits de façon plus rigoureuse que leurs parents, palissés à la diable, contre un grand mur protecteur.


Quels fruits produiront-ils ? On verra bien. L'avantage du pêcher, comme de l'amandier son cousin, est qu'il met à fruit très vite.


Il n'est pas impossible, si leurs pêches sont médiocres, qu'on les utilise comme porte-greffes de celui qui produit les plus gros fruits.


Sinon, on les laissera pousser sur leurs propres racines : cela a parfaitement réussi aux parents, qui pourtant ne sont pas à la noce, car leurs racines sont en terrain humide, voire très humide l'hiver. Même l'été d'ailleurs : la pelouse à leur pied reste verte, en plein cagnard, sans qu'elle reçoive le moindre arrosage. »


Alain Lompech © Le Monde

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