samedi 29 août 2009

Schizophrénique (suite)

Nous avions intitulé notre message du 28 août : « Un état (un État ?) quasi psychotique », puis à la lecture de l’éditorial du Monde daté du 29, nous lui avions ajouté : [ou aurions-nous dû écrire « schizophrénique » ?]. Or est-ce le hasard ? Une concertation éditoriale subtile ? Ou une convergence naturelle dû à l’esprit du temps ? Toujours est-il qu’on retrouve le terme « schizophrénique » dans un entretien paru dans le même numéro du Monde sous le titre inquiétant " La justice ne juge plus, elle condamne ", propos recueillis auprès d’un ancien magistrat par Josyane Savigneau qui le présente de la façon suivante : « Avocat, puis magistrat, Samuel Corto a démissionné de ses fonctions pour écrire " Parquet flottant ", un roman qui dépeint un univers professionnel sclérosé, véritable paradis pour les obsessionnels. Il a 46 ans et a pris le pseudonyme de Samuel Corto pour publier un premier roman, Parquet flottant (Denoël, 190 p., 16 euros). Son héros, Etienne Lanos, est magistrat dans un tribunal de province. Confronté à une justice sclérosée et détournée de sa véritable fonction, il dresse un constat impitoyable de la situation. »


À la lecture de cet entretien, on ne peut s’empêcher de trouver des parallélismes confondants entre les problèmes suscités par la réforme de la justice et ceux plus violemment soulevés par la réforme de l’université. Samuel Corto lui-même d’ailleurs nous invite clairement au cours de l’interview à opérer ce genre de rapprochement :


« Dans ce roman, j'ai choisi la justice comme terrain de jeu parce que c'est un milieu que je connais un peu. Mais je pense que les constats désabusés de mon personnage sont tout à fait transposables dans d'autres secteurs de la société, par exemple dans un hôpital ou un ministère.

Ce qui m'est apparu en écrivant ce livre, c'est peut-être que la conception paternelle de l'Etat-providence a vécu. On dirait que les pouvoirs publics se sont mis à détester les êtres humains, considérés désormais comme des facteurs de coûts exorbitants - malades, justiciables, élèves... »


Et en de nombreux endroits, en effet, on ne peut résister à l’envie d’ajouter entre crochets le mot [université], chaque fois que paraît le mot « justice ». Tout en sachant que l’on pourrait tout aussi bien ajouter d’autres secteurs réformés ou réformisables :


« Pour ceux qui continuent à rattacher la justice [l’université] [la presse] à son sens cardinal de vertu [savoir] [liberté], cela peut être troublant. En contrepartie, il n'est pas interdit de penser qu'il y a là, au fond, une demande collective à être maltraité, à laquelle les pouvoirs publics ne font que répondre par opportunité. »


Citons encore quelques extraits significatifs et parallélisables :


« " Dans n'importe quel milieu adapté, les fous sont repérés et éliminés des champs de décision ", écrivez-vous. Pas dans la justice [à l’université] ?


Même sortie de son contexte, la formule reste d'abord littéraire. Pour autant, je persiste à penser que dans la magistrature, notamment au parquet, [à l’université] il n'y a pas de reconditionnement des incontrôlables. Les histoires fictives que j'ai racontées dépeignent un univers professionnel dépourvu de centre, composé d'individus mobiles, incapables d'imposer la moindre empreinte personnelle sur leur travail. La justice [l’université] a alors l'air de fonctionner sur la surenchère statistique et la récompense des plus serviles. Elle reste, comme beaucoup d'autres lieux de la société maintenant, un paradis pour les obsessionnels. »


Ou bien encore :


« Dans ce parquet de province où est votre héros, on ne semble pas encore arrivé au XXe siècle...


Je ne suis pas sûr que le fait que l'histoire se déroule en province change beaucoup de choses. […] Je suis trop peu informé pour savoir si l'institution a, dans sa mentalité, fondamentalement changé depuis le XIXe siècle. J'en doute. […] Etienne Lanos prend conscience qu'il ne pourra rien réformer de l'intérieur et il choisit finalement de s'amuser de son désenchantement. »


Et enfin, cette réponse où apparaît l’adjectif « schizophrénique », qui fait l’objet même du titre et du sens de notre message :


« La justice est-elle réformable ?


J'espère que personne n'attendait Etienne Lanos pour résoudre cette question ! En fait, il y a eu, avec ce roman, une coïncidence amusante : je l'ai écrit de mars à juin 2008. En juillet 2008, la Cour européenne des droits de l'homme a rendu un arrêt qui considère que le ministère public français n'est pas un organe judiciaire, faute d'indépendance à l'égard du pouvoir politique. Comme j'annonce, dans le livre, la mort programmée du ministère public, je me retrouve presque avec un roman d'anticipation... Tout cela pour dire que la réforme de la justice s'annonce désormais sur un mode explosif, voire révolutionnaire, car l'ambiguïté entre la soumission hiérarchique des magistrats du parquet et leur indépendance statutaire affichée provoque un sentiment schizophrénique insupportable pour beaucoup. »


Vous estimez que la bureaucratie a envahi toute la société...


Oui, on est contrôlé pour savoir si on punit bien et si on ne pourrait pas punir plus encore. »


OUI ! On a bien lu, et on a toujours une envie aussi grande de réécrire ;


Tout cela pour dire que la réforme de l’université s'annonce désormais sur un mode explosif, voire révolutionnaire, car l'ambiguïté entre la soumission hiérarchique des enseignant-chercheurs et leur indépendance statutaire affichée provoque un sentiment schizophrénique insupportable pour beaucoup.


ET :


Oui, on est contrôlé pour savoir si on punit bien et si on ne pourrait pas punir plus encore.


Où il n’y aurait malheureusement rien à réécrire !


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire