mercredi 26 août 2009

Cette limite de l’impossible, du “ peut-être ” et du “ si ”

Dans nos derniers messages, nous avons pu commencer à constater combien une riche réflexion — une réflexion dont les politiques n’ont tenu aucun compte... — sur les problèmes de l’université s’était développée au tournant des vingtième et vingt-et-unième siècles. Les critiques exposées par Jean-Marc Mandosio et Jean-Fabien Spitz en témoignent. Le père du déconstructionnisme, Jacques Derrida, ne pouvait guère demeurer en reste. Mais c’est l’honneur de l’université américaine




de lui avoir demandé une conférence sur la possibilité de l’impossible université, particulièrement de l’impossible des humanités : « Cette conférence fut d’abord prononcée en anglais à l’université de Stanford, en Californie, en avril 1998, dans la série des Presidential Lectures.

J’avais alors été invité à traiter, de préférence, de l’art et des humanités dans l’université de demain. Le titre initial de la conférence fut donc : L’avenir de la profession ou L’université sans condition (grâce aux “ Humanités ”, ce qui pourrait avoir lieu demain) »

C’est ainsi que Jacques Derrida rappelait en exergue du texte de sa conférence — publié à Paris en 2001 aux édition Galilée sous le titre L’Université sans condition — les circonstances dans lesquelles il avait été amené à la prononcer. Il terminait son discours par cette phrase que l’on peut juger concrètement prophétique : « Prenez votre temps mais dépêchez-vous de le faire, car vous ne savez pas ce qui vous attend. »

En effet, nous ne savions pas vraiment ce qui nous attendait, c’est-à-dire, pour reprendre les propres termes de Derrida, la réappropriation de l’université par les forces politiques, juridiques, économiques, etc. Une réappropriation faite avec un degré de brutalité inimaginable au vu de toutes nos traditions.

Dans ses conclusions et propositions, Derrida lance un appel (déjà) à une contre-offensive inventive de l’université. mais il ne cache pas que cette résistance ne pourrait s’organiser que dans la mesure où l’université — toujours divisible — ferait appel à l’extérieur d’elle-même, tout en restant telle qu’en elle-même. Plus concrètement, dans la mesure où elle ferait appel à des forces « extra-académiques ». Mais le pessimisme se fait jour, qui est aussi un optimisme : ce n’est pas nécessairement dans le cadre de l’institution établie (et brutalement réformée) que l’on pourrait retrouver ou plutôt reconstruire une université « sans condition ». Laissons à Pécresse ce qui est à Pécresse...


« Cette limite de l’impossible, du “ peut-être ” et du “ si ”, voilà le lieu où l’université divisible s’expose à la réalité, aux forces du dehors (qu’elles soient culturelles, idéologiques, politiques, économiques ou autres). C’est là que l’université est dans le monde qu’elle tente de penser. Sur cette frontière elle doit donc négocier et organiser sa résistance. Et prendre ses responsabilités. Non pas pour se clore et pour reconstituer ce fantasme abstrait de souveraineté dont elle aura peut-être commencé à déconstruire l’héritage théologique ou humaniste, si du moins elle a commencé à le faire. Mais pour résister effectivement, en s’alliant à des forces extra-académiques, pour opposer une contre-offensive inventive, par ses œuvres, à toutes les tentatives de réappropriation (politique, juridique, économique, etc.), à toutes les autres figures de la souveraineté.

Autre façon d’en appeler à une autre topologie : l’université sans condition ne se situe pas nécessairement, ni exclusivement, dans l’enceinte de ce qu’on appelle aujourd’hui l’université. Elle n’est pas nécessairement, exclusivement, exemplairement représentée dans la figure du professeur. Elle a lieu, elle cherche son lieu partout où cette inconditionnalité peut s’annoncer. Partout où elle (se) donne, peut-être, à penser. Parfois au-delà même, sans doute, d’une logique et d’un lexique de la « condition ” »

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