vendredi 27 novembre 2009

Université & Libéralisme : Faut-il imiter l'Allemagne ?


Le modèle humboldtien reste au coeur des débats sur l’Université en Allemagne

Par Thomas Hippler, Maître de conférences à l’Institut d'Etudes Politiques de Lyon· 27 novembre 2009

Novembre 2009 : la deuxième grève étudiante de cette année secoue les universités allemandes et pour la deuxième fois les problèmes liés aux réformes de Bologne sont au centre de l’agitation. Et pourtant, cette grève est différente de toutes celles qui l’ont précédée : cette fois-ci, tout le monde est d’accord avec les revendications étudiantes. Les professeurs, les présidents des universités, la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche et même Angela Merkel ; tout le monde partage l’avis des étudiants selon lesquels les maquettes sont surchargées et l’organisation des études universitaires est devenue trop « scolaire », verschult.

Les études trop scolaires ? Plus personne ne semble encore se revendiquer ouvertement du modèle humboldtien, tant le réformateur libéral est devenu la bête noire de toutes les réformes néolibérales qui ébranlent le monde académique actuellement en Europe. Et pourtant, le mot d’ordre contre une université trop « scolaire » laisse apparaître à quel point l’énigmatique « modèle humboldtien » continue à structurer les débats.

Qui est Humboldt et quel est son modèle ?

Wilhelm von Humboldt, frère d’Alexander, naturaliste et explorateur en Amérique latine, fut un linguiste de talent et un fonctionnaire peu zélé. Après un long séjour à Paris autour de 1800, il accède à un poste en accord avec son manque d’ambition bureaucratique et est nommé ambassadeur prussien auprès d’un saint-siège entièrement dépendant de la politique française.

Début 1809 pourtant, le chancelier réformateur Stein met fin à la dolce vita romaine en faisant nommer Humboldt directeur de la « section du culte et de l’enseignement public ». Mécontent de ne pas avoir obtenu le rang de ministre et de ne pas avoir pu réaliser l’ensemble de ses idées, Humboldt démissionnera seize mois plus tard, non sans avoir entamé des réformes essentielles : la création de l’Abitur, l’équivalent du baccalauréat, un examen d’aptitude pour les professeurs, un curriculum pour les études secondaires et la fondation de l’Université de Berlin qui porte aujourd’hui son nom.

Dans un mémoire administratif, Humboldt avait esquissé ses idées pour « l’organisation interne et externe des établissements d’enseignement supérieur à Berlin ». Il y explique la différence fondamentale qui doit séparer le savoir universitaire du savoir scolaire : l’école transmet des connaissances fixes et immuables, tandis que l’université doit entretenir un rapport « problématique » au savoir. Tout savoir scientifique est soumis au mouvement de la recherche, il est instable et provisoire.

D’où, l’autre idée-phare, celle d’unité de l’enseignement et de la recherche, qui implique non seulement que les enseignants du supérieur doivent être des chercheurs, mais que les étudiants doivent être considérés non pas comme des élèves auxquels il faut inculquer un certain nombre de connaissances, mais comme des intellectualités capables de participer au mouvement de la recherche. Plutôt que des connaissances qui pourraient faire l’objet d’un examen, l’université doit transmettre un ethos, une certaine attitude intellectuelle et morale selon laquelle il faut « toujours rester en train de chercher ».

Ce mémoire est resté littérature grise pendant près d’un siècle, mais depuis sa publication en 1900 il est considéré comme le document-clé du modèle humboldtien, ou, doit-on dire, du « mythe humboldtien ». L’historienne Sylvia Paletschek a montré comment ce que nous appelons le « modèle humboldtien » a été inventé au début du XXe siècle et constamment réinventé depuis.

La référence à « Humboldt » a servi à justifier le fonctionnement mandarinal de l’Ordinarienuniversität et il est invoqué par les étudiants pour contester ces mêmes structures. Garant de l’unité de la recherche et de l’enseignement, Humboldt a justifié la construction de grandes structures de recherche en dehors des universités.

Mais ce sont surtout les groupes de pression pro-Bologne, tel le très influent Centrum für Hochschulentwicklung de la fondation Berthelsmann, qui ont réussi à discréditer l’héritage du grand réformateur comme une idéologie qui n’a que trop longtemps servi aux professeurs pour négliger l’enseignement au profit de la recherche et la nécessaire professionnalisation des étudiants au profit de la poursuite de leurs intérêts particuliers.

Adepte du libéralisme, l’auteur de l’Essai sur les limites de l’action de l’État a toujours voulu limiter au maximum l’influence de l’État sur les universités, non pour les soumettre dorénavant aux forces du marché et du marché du travail, mais pour créer un espace social où la recherche la plus désintéressée et le libre développement des personnalités peuvent avoir lieu.

Par un étrange retournement des choses, le libéralisme du modèle humboldtien est devenu la cible privilégiée des attaques néolibérales, tandis que les défenseurs d’un modèle humboldtien revendiquent aujourd’hui un rôle plus actif de l’État en faveur de l’enseignement et de la recherche. À l’heure du bicentenaire de l’Université Humboldt de Berlin, le modèle de son fondateur serait à réinventer – comme il n’a cessé de l’être depuis deux siècles.

Source :
C'est Étourneau qui souligne en rouge certains passages...

Commentaire d'Yves Madiran :
« Est-ce réellement un « étrange retournement des choses » ? Ne suffit-il pas de revenir aux fondamentaux de la définition du « libéralisme » ? A savoir que le libéralisme économique n'a rien à voir avec le libéralisme politique, libéralisme économique et libéralisme politique ayant par ailleurs souvent peu de choses en commun avec le libéralisme intellectuel. Nos actuels gouvernants, pourtant formés à bonne école (enfin la plupart...) savent bien jouer du mot en entretenant la confusion de ses divers sens : ni vu ni connu que cht'embrouille. »

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