jeudi 19 novembre 2009

Lettre bilan de la présidente de Sauvons La Recherche

Chères toutes, chers tous,

Il y a maintenant presque un an, alors vice-présidente de l’association depuis juin 2008, j’avais accepté, à la suite de la démission de Bertrand Monthubert, d’assurer la présidence de SLR. L’engagement que j’avais pris était de remplir cette fonction pour un an. Nous voilà donc quasiment au terme de ce délai et je remets donc à ce jour ma démission au CA.
Pour tenter de vous expliquer les motivations qui justifient une telle décision, je voudrais tout d’abord revenir un instant sur ces longs mois au cours desquels nos universités et nos labos ont connu un mouvement d’une ampleur que l’on peut sans trop hésiter qualifier d’historique et au sein duquel notre association a joué un rôle essentiel.
Tout d’abord, force est de constater que, comparés à l’ampleur de cette mobilisation, les reculs du gouvernement, sans être nuls, loin s’en faut, n’ont toutefois pas été à la hauteur de nos espérances. En effet, Nicolas Sarkozy et ses ministres ont accepté de revenir sur ce qui apparaissait comme un dogme intangible –le non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite - puisque nous avons obtenu la promesse qu’aucun emploi ne serait supprimé pour les deux prochaines années dans notre secteur. Et il s’agit là d’une victoire essentielle étant donnée la précarité croissante qui caractérise notre milieu. Les organismes de recherche existent toujours (même si tous les pointillés sont déjà tracés pour le dépeçage). Le texte sur le statut des enseignants-chercheurs a, sur certains points, évolué (même s’il reste absolument inacceptable en l’état). Nous avons un peu ralenti le mouvement qui conduisait à un financement de la recherche uniquement par projet. Des instances dont les membres ne sont pas tous nommés ont gardé des prérogatives dans l’évaluation. Un dixième mois de bourse a été arraché pour nos étudiants. Toutefois, les deux textes fondamentaux du nouveau paysage institutionnel - la L.R.U. et le Pacte pour la recherche - n’ont été, ni abrogés, ni même simplement réécrits ; la précarité est toujours omniprésente, créant des situations inacceptables et détournant les jeunes de nos carrières ; les conditions de nos étudiants sont toujours indignes d’un pays comme le nôtre ; la réforme de la formation des enseignants est toujours d’actualité ; la stratégie nationale de recherche et d’innovation toujours élaborée par quelques commissions entièrement nommées ; le financement sur projets et l'A.N.R. (dont tous les membres sont nommés) joue un rôle de plus en plus central dans le financement de la recherche publique au détriment des crédits de base des laboratoires ; le pouvoir de l'A.E.R.E.S. a été réaffirmé alors que nous contestons la réalité de son indépendance affichée (puisque tous ses membres sont nommés par le gouvernement) et sa méthodologie d’évaluation ; la politique de primes maintenue et en cours de généralisation ; les chaires créées ; le budget est toujours en trompe l’œil ; et le pouvoir administratif et bureaucratique renforcé au détriment de la collégialité et du fonctionnement démocratique de nos institutions !
Un autre constat que l’on peut faire est toutefois plus encourageant. En effet, alors que le gouvernement voulait faire croire par un matraquage incessant que les réformes qu’il a menées ne sont que de simples mesures "techniques", imposées par une nécessaire "modernisation" et un pragmatisme de bon aloi, que seuls des idéologues bornés refuseraient, une très grande partie de notre communauté est aujourd’hui convaincue que, non seulement ces réformes ne résoudront en rien les problèmes que connaissent nos institutions, mais surtout qu’elles sont mauvaises et qu’elles doivent donc être abandonnées ou profondément reprises. Nous avons réussi à convaincre que ces réformes n’avaient pas d’autre cohérence que des présupposés idéologiques. Ainsi, nombreux sont ceux qui aujourd’hui partagent la conviction selon laquelle ces réformes reposent sur un utilitarisme étroit et incohérent qui réduit la science à ses applications et l’enseignement à ses débouchés professionnels, confondant ainsi recherche et innovation, université et formation professionnalisante. Nombreux sont ceux aujourd’hui qui pensent que ces réformes découlent de la conviction bornée de nos dirigeants selon laquelle la mise en concurrence systématique serait la condition
nécessaire et suffisante de l’efficacité et qui sont persuadés des effets délétères d’une concurrence outrancière qui détruit toute possibilité de coopération, pourtant essentielle pour nos activités, tant dans les laboratoires que dans les universités. Nombreux sont ceux aujourd’hui qui sont persuadés que ces réformes visent à mettre en place les outils permettant au gouvernement un pilotage de plus en plus serré de l’activité de recherche publique et d’enseignement, remettant ainsi en cause l’indépendance des scientifiques à l’égard des pouvoirs politiques et des pressions économiques. Nombreux sont ceux qui sont convaincus que cet autoritarisme gestionnaire, voulu par les pouvoirs publics et imposé aux scientifiques, aura l’effet inverse de celui qu’il prétend obtenir et obère l’existence même d’une science et d’un enseignement supérieur de haut niveau. Nombreux sont ceux aussi qui partagent la conviction que nos dirigeants détruisent nos services publics et mettent en place les conditions institutionnelles d’un désengagement de l’Etat. Nos voix trop isolées il y a quelque temps ont porté. Et l’on peut même raisonnablement penser qu’elles ont porté
au-delà du secteur de l’enseignement supérieur et de la recherche.

Face à ce bilan mitigé quelles conclusions en tirer ?

La première consiste à rappeler que nous avons eu raison de nous battre. Que les victoires, mêmes partielles n’auraient pas été obtenues sans le mouvement auquel nous avons participé. Pouvions-nous obtenir plus, étant donnée la surdité et l’arrogance du gouvernement ? Souvenons-nous de la déclaration de François Fillon qui, en juin, en réponse à la seconde "Marche de tous les savoirs" organisée pour rappeler la "fierté" qui est la nôtre d’exercer nos métiers et de défendre nos valeurs, affichait quant à lui la sienne : la fierté d’avoir été "capable de résister" au mouvement social dans les universités tout en tenant bon "sur l’essentiel". Les choses sont claires : le mouvement des universités et de la recherche devait /servir d’exemple/ pour les autres secteurs éventuellement tentés de résister aux réformes. Le message était clair : à bon entendeur salut, devant la "modernisation" en marche, rien ne sert d’essayer de s’opposer à la virile détermination de nos dirigeants ! Pouvions-nous obtenir plus face à un gouvernement que rien ne paraissait pouvoir arrêter, un gouvernement dont les stratégies semblaient jusqu’à peu imparables ? Que pouvions nous faire face au discours décliniste, au "saucissonage et enfumage", aux menaces, au discours de mépris et de discrédit, à une communication omniprésente, qui vole nos mots et nos symboles et qui de nos valeurs ne garde que le terme pour mieux les piétiner ? Comment lutter face à une ministre qui toute en "preuves d’amour", prétend défendre la liberté de la recherche, l’université, les conditions de nos étudiants, un service public de qualité, etc. au moment même où tout dans ses actions témoigne du contraire ? Soulignons toutefois que la prise de conscience actuelle, bien au delà de nos secteur, de l'utilisation systématique de ces stratégies permettra désormais d'y répondre. La seconde conclusion est qu’il faut poursuivre notre combat. Tout d’abord, dans chaque laboratoire, dans chaque université, il nous faut tenter d’entraver la mise en place de ces réformes qui conduiront à terme à la ruine de notre secteur d’activité. Ces réformes ne sont pas les bonnes ; il est de notre devoir de nous y opposer. Il est de notre devoir également de continuer à dénoncer sans relâche "les arnaques et les escroqueries" du discours et de la communication gouvernementale. Par ailleurs, il faudra recueillir et centraliser l’ensemble des dysfonctionnements générés par ces réformes tels qu’ils commencent à être perceptibles dans les amphis, les universités et les laboratoires, afin d’écrire "le livre noir" de ces dernières. En outre, il nous faut poursuivre le travail d’élaboration de contre-propositions. qui avait été fait dans les Etats généraux et qu’au plus fort de la mobilisation nous avons tenté de prolonger. Lorsque l’opposition reviendra au pouvoir, il faudra revenir sur toutes ces réformes ; un contre projet doit être prêt. Notre communauté doit y travailler. C’est également avec nos collègues et les étudiants étrangers qu’il nous faudra agir ; on le sait la situation française n’est pas isolée et des mouvements semblables au nôtre apparaissent dans toute l’Europe. Dans tout cela, Sauvons La Recherche doit jouer un rôle essentiel.
Enfin - et j’en finirai là, même si la liste n’est pas exhaustive - c’est à mon avis au niveau politique qu’il nous faut également intervenir. Les élus de l'opposition doivent être à nos côtés et relayer nos craintes, nos revendications et nos propositions. Et telle est la direction que je veux suivre aujourd’hui. C’est donc pour être en position de pouvoir répondre à une proposition qui m’était faite, et dont il n’est pas lieu de faire état ici, que j’ai donc décidé conformément à mon engagement premier de vous remettre ma démission à ce jour.

Même si je devine que certains d’entre vous désapprouveront une telle décision, soyez tout de même assurés que pour moi, rien ne change ; je n’ai pour unique objectif que de continuer à me battre ailleurs pour les valeurs et les idéaux qui sont les nôtres et que je me suis efforcée de défendre durant cette si longue année à vos côtés : celle de la connaissance et du savoir, celle de la justice sociale, celle des libertés publiques et de notre nécessaire indépendance à l’égard de toute pressions politique et économique. Pour finir, je tiens à vous remercier tous et en particulier toutes celles et tous ceux qui quotidiennement au cours de ces derniers mois m’ont épaulée et aidée dans la mission qui m'avait été confiée.

Amitiés.
Isabelle This Saint-Jean

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