dimanche 16 mai 2010

Les méfaits annoncés de la LRU (29) : ce n'est qu'un début...

Prise de position de la Société Mathématique de France

sur l'évolution du concours de l’agrégation

mai 2010

La SMF a déjà pris position à plusieurs reprises cette année sur les conséquences de la réforme dite

de masterisation des concours d’enseignants, soit directement en novembre 2009, cf. "Masterisation,

quelques aspects plus spécifiques aux mathématiques" soit à travers le Forum des Sociétés Savantes en

novembre 2009, cf. "Réformons la Réforme" et en février 2010, cf. "Masterisation : de mal en pis". Les

inquiétudes exprimées dans ces textes ont été confirmées récemment, et conduisent le conseil

d’administration de la SMF à prendre de nouveau position sur le sujet spécifique du concours de l'agrégation,

et à exprimer son désaccord et ses plus vives inquiétudes en ce qui concerne trois points particulièrement

graves de cette réforme: la nouvelle épreuve non disciplinaire, l'absence de mesures transitoires pour l'an

prochain et l'impossibilité de commuter l'année de M2 et la préparation à l'agrégation. On soulignera

également les conséquences négatives de l'évolution actuelle pour la formation des enseignants de

l'enseignement supérieur.

L’arrêté du 28 décembre 2009 sur les modalités d’organisation du concours de l’agrégation introduit

une nouvelle épreuve « agir en fonctionnaire de l’Etat et de façon éthique et responsable » dont le référentiel

est défini dans le point 3 « les compétences professionnelles des maîtres » de l’annexe de l’arrêté du 19

décembre 2006. Les exemples de sujets mis en ligne sur le site du Ministère de l'Education Nationale et les

« pistes de réponses attendues » font apparaître des référentiels juridiques et administratifs considérables. Le

corpus de connaissances associé aux questions suggérées est vague et généraliste, les dérives possibles vers

une épreuve doctrinaire n’étant pas exclues.

Cette épreuve sera amalgamée à l’une des épreuves orales disciplinaires usuelles, amenant des modifications

arbitraires et non concertées des différents coefficients des épreuves. En mathématiques, les trois épreuves

orales, algèbre-géométrie, analyse-probabilités, modélisation, étaient toutes affectées d’un coefficient 1. Les

deux épreuves analyse-probabilités, modélisation et leurs coefficients sont inchangés, mais le texte remplace

l’épreuve algèbre-géométrie par une épreuve "algèbre-géométrie et compétence « agir en fonctionnaire de

l'Etat »" à coefficient 2, avec un quart des points pour la compétence « agir en fonctionnaire de l'Etat ». Ce

nouveau coefficient a été introduit arbitrairement dans le seul but de donner un poids à cette compétence non

disciplinaire. Son introduction n’est justifiée par aucune réflexion disciplinaire, et sera préjudiciable aux

équilibres actés de longue date dans la discipline.

Pour cette nouvelle épreuve double, le candidat se verra remettre simultanément un sujet de mathématiques

et un texte portant sur la compétence « agir en fonctionnaire de l'Etat ». Sa durée sera portée à 3h30 de

préparation et presque 1h30 d’interrogation. A la suite de l’interrogation de mathématiques, le candidat devra

s’exprimer et sera questionné sur le texte portant sur « agir en fonctionnaire de l'Etat ». Les conditions pour

qu’un candidat puisse sereinement présenter le meilleur de sa démarche seront probablement loin d’être

remplies.

Même si l’interrogation est conduite uniquement et dans sa totalité par des experts disciplinaires, il sera

difficile d’en faire une évaluation cohérente à partir d’attendus aussi disparates. De nombreux membres de

jurys, gênés par la nature non disciplinaire, voire potentiellement idéologique de cette épreuve, risquent de

ne plus être volontaires pour y participer.

Qui plus est, une étude globale menée par la Société des Agrégés montre que le poids de la compétence

« agir en fonctionnaire de l'Etat » varie en pourcentage de la note finale du concours de l’agrégation de

2,47% en lettres modernes à 8,33% en mathématiques. Cette variation considérable est un comble pour une

compétence non disciplinaire !

La SMF rappelle qu'une éventuelle évaluation faisant appel à des connaissances administratives trouverait

beaucoup plus naturellement sa place à l'issue de l'année de fonctionnaire stagiaire pour la titularisation.

Les professeurs agrégés sont destinés, selon leur statut, à l’enseignement secondaire mais aussi à

l’enseignement supérieur (Universités, IUT, Grandes Ecoles, Classes préparatoires aux Grandes Ecoles,

sections de techniciens supérieurs). Un décret et un arrêté sont susceptibles de modifier en profondeur la

typologie du recrutement des futurs agrégés et les missions qui leur seront confiées.

L’article 3 du décret 2009-914 du 28 juillet 2009 stipule que « peuvent se présenter au concours externe les

candidats justifiant de la détention d’un master ou d’un titre ou diplôme reconnu équivalent par le Ministre

chargé de l’Education » ; il entre en vigueur dès la session 2011. Ne pourront s’inscrire en juin 2010 pour la

session 2011 que les candidats titulaires d’un Master ou équivalent, ce qui représente une population très

réduite par rapport au flux usuel de candidats (voir les statistiques en annexe, transposées à la session 2009 ;

notons en particulier que, rapporté au nombre de présents, le taux de réussite au concours des candidats

titulaires du Master est inférieur au taux de réussite globale). Les titulaires d’un Master 1 (étudiants ou

normaliens) et la grande majorité des admissibles/non-admis de la session 2010 ne pourront pas s’inscrire.

La situation fait craindre la fermeture, au moins temporaire, de nombreuses préparations, dont celles des

ENS.

Si une formation disciplinaire en six ans est a priori un gage de qualité, le positionnement de la préparation

de l’agrégation après le Master crée une rupture du cycle habituel des études scientifiques. S’ils souhaitent

préparer l’agrégation, de nombreux étudiants devront surseoir à leur entrée dans les études doctorales et

peut-être ainsi perdre de précieuses occasions de financement pour mener à bien un programme de

recherche. Sans une préparation intensive et complète d’une année, les statistiques montrent que les chances

de succès aux concours sont faibles, ce qui rend probablement inefficace et sûrement dommageable la

poursuite conjointe d’une formation doctorale et de la préparation au concours.

Les études doctorales, comme la seconde année de master à finalité recherche, sont des études scientifiques

très spécialisées. L’année de préparation à l’agrégation est, au contraire, une année généraliste qui vise à

donner aux étudiants une culture scientifique de haut niveau couvrant tout le champ de la discipline. Dans le

cas où cette année de préparation s’intercale entre l’année de Master 2 et les études doctorales, elle constitue

une rupture dans le cursus des étudiants et l’on peut craindre que les meilleurs renoncent à se présenter à

l’agrégation ou inversement se détournent de la recherche. Il serait dommageable que les futurs jeunes

chercheurs, souvent très spécialisés, soient dans l'impossibilité de bénéficier de l’année de consolidation

généraliste que constitue la préparation à l’agrégation (tant en mathématiques que dans d’autres disciplines).

On peut ainsi s’attendre à ce que les futurs agrégés soient beaucoup plus orientés vers

l’enseignement secondaire et que leurs contacts avec la recherche deviennent très ténus. Tout laisse à penser

que les reports de stage pour études seront de moins en moins facilement accordés. Déjà, il apparaît dans la

note au recteurs parue au Bulletin officiel du 29 avril 2010 que les reçus à l'agrégation à la session 2010 non

normaliens ne pourront pas demander de report pour suivre la seconde année de Master. Dans la pratique,

les agrégés-docteurs risquent de disparaître, l'agrégation n'étant plus alors qu'un diplôme de recrutement pour

les professeurs de lycée. Nous arriverions à une situation paradoxale pour les professeurs de classes

préparatoires en contradiction avec la volonté de l’Inspection Générale de mathématiques de recruter, à ce

niveau, des professeurs agrégés-docteurs, ce qui est le cas actuellement. Un retour en arrière, avec des

professeurs de CPGE non docteurs, serait, de l’avis de tous, extrêmement dommageable, et contraire aux

conclusions du "Rapport Philip" sur le rapprochement entre Grandes Ecoles et universités. Les Sociétés

Savantes (cf. les textes communs SMF-SFP-SFC) se sont aussi exprimées à plusieurs reprises en ce sens,

demandant une plus grande hybridation des deux systèmes (CPGE-Université).

La SMF s'inquiète donc de l'évolution du concours de l'agrégation de mathématiques et demande qu'une

large réflexion soit engagée à ce propos dans les plus brefs délais.

Les textes cités sont disponibles sur le site de la SMF http://smf.emath.fr

Annexe :Eléments statistiques comparatifs portant sur l’agrégation de mathématiques

Session 2009 Tous candidats

Inscrits 2351

Présents 1384

Admissibles 553

Admis 252

Session 2009 Candidats de niveau M2 ou équivalent

Inscrits 543

Présents 263

Admissibles 87

Admis 21


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