dimanche 7 février 2010

Les méfaits annoncés de la LRU : ça commence ! (5) Ou la fin programmée des sciences humaines et sociales !

Voyez plutôt sous le titre suggestif d'« Un coup de poignard dans le dos », l'analyse non moins suggestive du premier rapport d’étape du CDHSS, par Elie Haddad (CR CNRS) et Laurence Giavarini (Mcf, université de Bourgogne), établi pour SLU (7 février 2010) et publié ce dimanche 7 février 2010.
Rappelons que c'est le 2 septembre 2009 que Valérie Pécresse avait mis en place le Conseil pour le Développement des Humanités et des Sciences Sociales (CDHSS) composé de membres nommés.

Voici la conclusion de cette analyse très serrée :

« Les membres du CDHSS ont tous été officiellement choisis pour leurs compétences scientifiques. Or le rapport d’étape qu’ils livrent est d’une grande faiblesse du point de vue même de l’expertise : l’absence de mention des classes préparatoires dans la présentation de la sélection dans l’enseignement supérieur en est l’aspect le plus caricatural [1]. Mais on pourrait prendre bien d’autres exemples : la question des disciplines, à la fois modes de découpage des savoirs, de construction de la science et de transmission des connaissances, avec leur historicité propre, a fait l’objet de nombreux travaux des sciences sociales, tout comme l’interdisciplinarité ; des enquêtes ont été menées sur les étudiants qui abandonnent l’université avant d’avoir obtenu un diplôme. Rien de tout cela n’apparaît dans le rapport. Les « experts » nommés du CDHSS n’utilisent pas les outils des sciences sociales dans leurs analyses, ce qui les conduit à tomber dans nombre de lieux communs et à se contenter d’accompagner la réforme, en ce sens que, reprenant la litanie managériale qui lui sert de musique de fond, ils ne cherchent à influer sur elle que dans son cadre idéologique, qu’ils acceptent pleinement.

Allons plus loin : en laissant croire que leurs recommandations sont fondées scientifiquement, en objectivité, en faisant comme si les questions qu’ils abordent n’étaient pas l’objet de débats scientifiques et pouvaient ainsi motiver des décisions politiquement « neutres », les membres du CDHSS refusent le travail critique de la recherche en SHS. Se tenant soigneusement à l’extérieur du contexte politique qui est pourtant à son origine, le rapport ne fait état ni de la diminution du nombre d’enseignants-chercheurs et de chercheurs, ni de la montée de la précarité dans les universités, ni de l’absence totale de volonté du gouvernement de mettre fin au sous-encadrement de celles-ci, ni du manque d’aide réelle aux étudiants, ni des conséquences sur leurs formations et leurs conditions d’études. Ce rapport plane dans ces sphères supérieures si désirables où la réflexion pourrait enfin se délier de la politique. Il est par là même la négation en acte de l’activité des chercheurs en SHS. C’est pourquoi il doit être mis en cause là où il prétend intervenir – au niveau où, d’un geste désinvolte, l’« expertise » se débarrasse de la recherche. Ses auteurs cautionnent le dispositif ministériel qui utilise leur autorité scientifique pour légitimer les enjeux politiques motivant l’expertise, sans qu’ils aient eux-mêmes, pensent-ils, à les prendre en charge. Or, le coût de l’opération qui les a placés en position d’« experts » risque d’être, pour la communauté scientifique et les étudiants, considérable.
***

À l’heure où la lutte contre la réforme dite de la « masterisation » essaie de préserver une véritable formation disciplinaire et pratique des enseignants et de défendre leur statut de fonctionnaire, à l’heure où la réforme des lycées contribue à affaiblir encore davantage les savoirs disciplinaires et leurs approches critiques dans l’enseignement secondaire, à l’heure où les conséquences de la loi LRU commencent à se faire sentir, où le management a remplacé toute autre forme d’administration et de « gouvernement », invalidant a priori toute réflexion véritable concernant le devenir de l’Université, le premier rapport d’étape du CDHSS ne peut apparaître que comme un coup de poignard dans le dos de la communauté des enseignants-chercheurs et des chercheurs.

Un jour, peut-être, des historiens ou d’autres praticiens des sciences sociales permettront de comprendre comment des intellectuels, des universitaires et des chercheurs ont pu à ce point, pour certains sans l’assumer ou même sans s’en apercevoir, adhérer à l’idéologie sarkozyste, et comment ils ont pu par là même renoncer, dans l’analyse de leur propre société, à ce qui fait le fondement scientifique de leurs disciplines : l’exercice de la réflexion critique. Encore faudra-t-il pour cela que les réformes qu’ils auront contribué à mettre en place n’aient pas détruit ce fondement, et les SHS avec. »


Notes

[1] À confronter au travail réalisé sur cette question par Christine Noille-Clauzade pour SLU

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