mercredi 3 février 2010

Les méfaits annoncés de la LRU : ça commence ! (2)

Une analyse très intéressante sur le site LesEchos.fr portant sur les modes américains de l'évaluation des enseignants-chercheurs.
Faut-il rappeler que c'est ce système qu'entend mettre en place le gouvernement français actuel à travers les réformes de la LRU, réformes par ailleurs inconditionnellement soutenues, dira-t-on, dans leurs articles par les journalistes « spécialistes » desdits Échos (cf. nos messages précédents sur ce blog) !
On n'est plus à une contradiction ni à une schizophrénie près !
Étourneau

« LA CHRONIQUE DE JEAN-MARC VITTORI
Les dividendes de la réputation

[ 02/02/10 ] 2 commentaire(s)

Ma « réput » avant tout… Pour beaucoup d'ados, rien n'est plus sacré que leur réputation. Ils la mesurent au nombre d'amis sur Facebook et à l'ampleur du répertoire contenu dans le téléphone mobile. Ils ne craignent rien tant que de la voir entachée par un acte inapproprié, comme le fait de porter un manteau au prétexte que la température est glaciale. Les parents, eux, s'arrachent les cheveux devant des comportements aussi incompréhensibles.

Et pourtant… la question de la réputation ne se limite pas à l'adolescence. L'image professionnelle de chacun devient essentielle dans une entreprise de plus en plus centrée sur l'individu et non plus les masses. C'est vrai tout au long de la carrière -pour la première embauche (gare aux potacheries qui traîneront longtemps sur Internet), pour monter dans la hiérarchie en prenant des responsabilités, voire pour être nommé PDG. Ce n'est pas faire injure à Henri Proglio que d'affirmer qu'il doit sans doute davantage sa nomination à la tête d'EDF à sa réputation qu'à ses performances comme patron de Veolia, par ailleurs tout à fait honorables.

Pour mieux comprendre le rôle de la réputation dans le cursus professionnel, deux chercheurs, Daniel Hamermesh, de l'université du Texas à Austin (Etats-Unis), et Gerard Antonie Pfann, de l'université de Maastricht (Pays-Bas), ont évalué le lien entre réputation, qualité du travail et salaire. Ils ont planché sur les professeurs d'économie d'une petite centaine d'universités américaines parmi les plus cotées. C'est un champ particulier, mais il présente l'avantage d'être bien défini, de compter assez d'enseignants (un bon millier) pour fournir des résultats significatifs… et d'être connu desdits chercheurs, ce qui leur a par exemple permis de demander à certains de leurs collègues, sous le sceau de la confidentialité, le montant de leur salaire.

MM. Hamermesh et Pfann ont monté une base de données comprenant pour chaque enseignant sa rémunération, le nombre de ses publications, le nombre de fois où il est cité dans les publications d'autres auteurs, ses mouvements professionnels (accession à un emploi protégé, débauchage par une autre université) et ses honneurs (prix Nobel, « membre distingué » de l'American Economic Association…) qui indiquent sa réputation. Puis ils ont cherché à comprendre les liens entre ces informations. Leurs résultats sont instructifs.

D'abord, la réputation dépend bien de la qualité -les honneurs vont à ceux qui sont les plus souvent cités par leurs collègues et donc qui apportent le plus à leur discipline. Le salaire aussi, dans un monde académique américain où la liberté des rémunérations est bien plus grande qu'en France. Les auteurs très cités (ou, pour être plus précis, le « 95 e centile », les chercheurs dépassés en nombre de citations par seulement 5 % de leurs pairs) gagnent 67 % de plus que les peu cités (5 e centile). Enfin, la quantité ne va pas souvent de pair avec la qualité. Celui qui publie beaucoup prend le risque d'être moins intéressant (un résultat qu'il serait périlleux de transposer en France, où trop d'enseignants publient très peu et sont très peu cités).

Ils trouvent ensuite des surprises : pour être recruté par une meilleure université, ce n'est pas la réputation ou la qualité qui compte, mais le nombre de publications. Un constat qui va à l'encontre de l'idée selon laquelle les bonnes universités cherchent à recruter les meilleurs enseignants. Et qui se retrouve aussi, dans une moindre mesure, sur les salaires - les prolifiques gagnent davantage, même s'ils ne trouvent pas grand-chose de neuf.

Au total, cette étude débouche sur trois idées dérangeantes. D'abord, le marché aux économistes fonctionne mal - ce qui est aussi honteux pour la profession que d'être malade pour les médecins ou mal chaussé pour les cordonniers. Ensuite, dans certains cas, il est préférable de produire beaucoup que de produire bien. Enfin, les ados n'ont peut-être pas tort de soigner leur « réput » et de privilégier la quantité sur la qualité.



« Markets for Reputation : Evidence on Quality and Quantity in Academe », par Daniel S. Hamermesh et Gerard Antonie Pfann, « CEPR Discussion, paper n° 7603 », décembre 2009. »

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