dimanche 24 mai 2009

« Plus tard, lorsque je suis allé en Occident, j'avais dépassé les vingt ans et j'étais déjà un peu plus au fait des choses de ce monde. A l'époque de ce séjour, chaque fois qu'un Japonais arrivait en Europe, j'observais son comportement. Et il n'y a pas à dire, ceux-là même qui arrivaient en Europe dégourdis et pleins de bon sens, les individus les plus décidés, paradoxalement, ne faisaient pas preuve par la suite d'un grand talent. C'est alors que j'ai élaboré la théorie de l'étourneau. De quoi s'agit-il ? Certains Japonais, débarquant en Europe à l'improviste, avaient tout l'air, comme on dit, de parfaits étourneaux. C'étaient de grands rêveurs. Et ce sont ces étourneaux-là qui, de manière inattendue, devaient réussir par la suite. C'est bien cela qui m'étonna. Les petits esprits bourrés à craquer sont mauvais. Pour prendre une comparaison, ils sont comme des récipients remplis à ras bord. Dans ces conditions, vouloir venir en Europe pour ressentir et emmagasiner des impressions nouvelles, c'est vouloir bourrer la marmite : tout mouvement devient impossible. On se trouve incroyablement à l'étroit. C'est ainsi en tout cas que j'ai ressenti les choses. Mais quand survient un de ces individus un peu négligents, à l'allure d'étourneau, celui-là, au moment du retour, a appris quelque chose au plus profond de lui-même. C'est là un phénomène que j'ai expérimenté à plusieurs reprises. A l'inverse, les esprits farcis de tout un tas de choses sont sans intérêt. »
MORI Ôgai, dans Konton (Chaos), traduction Emmanuel Lozerand in Cent ans de pensée au Japon (Tome I, Picquier, 1996, p 120-121).

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