vendredi 11 juin 2010

L'homme français doit abandonner la pensée... Pour entrer ou sortir de l'Histoire ?

« La mondialisation, ça eût payé Mme Pécresse…
11 Juin 2010 Par Christophe Pebarthe

La nouvelle est tombée hier soir, jeudi 10 juin sur France 2. Christine Boutin, ancienne ministre, ancienne députée, conseillère générale des Yvelines et chargée de mission par l'Élysée, renonce aux émoluments que cette dernière fonction lui assurait, soit 9 500 euros net par mois. "J'ai entendu les Français qui ont de petits salaires qui, aujourd'hui, ne peuvent pas comprendre qu'il y ait ainsi un responsable politique qui ait une rentrée d'argent de près de 18000 euros", puisque tel était à peu près son revenu mensuel. Rappelant la légalité de ces sommes, elle a convenu s'incliner "sous le poids de la tourmente médiatique".

Quelques heures plus tôt, la ministre de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche, Valérie Pécresse défendait Christine Boutin en ces termes. "Je crois que c'est un montant de salaire qui est très élevé et je pense que ça doit se justifier par un travail qui sera d'une exceptionnelle qualité". "Mais de ce point de vue je fais confiance à Christine Boutin", a-t-elle ajouté. "Les conséquences sociales de la mondialisation, à l'approche du G20, c'est une mission qui est importante [et qui] peut conduire à des propositions de régulation mondiale des États".

Depuis la sortie du Canard Enchaîné qui a dévoilé la mission et sa rétribution, les commentaires ont attiré l'attention sur le montant, 9 500 euros, ou sur le cumul des revenus 18 000 euros, le Ministre du Travail Éric Woerth lui proposant de renoncer à sa retraite de parlementaire. Peu voire aucun n'ont eu l'air de s'interroger sur la légitimité de Christine Boutin à réfléchir pour l'Élysée aux conséquences sociales de la mondialisation, puisque telle est la mission qui lui a été confiée par le président de la République. De quelle qualification l'ancienne ministre du Logement dispose-t-elle pour prétendre à cette "mission qui est très importante" ? Examinons sa biographie.

Titulaire d'une maîtrise en droit public et d'économie industrielle, option échanges mondiaux, attachée de presse au CNRS entre 1964 et 1969, adjointe au chef de service du secrétariat général du Crédit agricole (1973-1979), journaliste à Dossier familial, le mensuel du Crédit agricole (jusqu'en 1986) et consulteur du Conseil pontifical pour la famille au Vatican (1995, quatre consultations depuis cette date), Christine Boutin ne semble pas pouvoir arguer de qualification particulière pour prétendre à la remise d'un "travail d'une exceptionnelle qualité". Il est probable que des considérations autres, politiques, ont amené à sa désignation…

Qu'on ne se méprenne pas. Nul ne doute de l'importance de "la régulation mondiale des États" comme le souligne Mme Valérie Pécresse, ministre de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche. Il est toutefois significatif que cette dernière oublie les enseignants-chercheurs et les chercheurs à qui une telle mission aurait pu être confiée, eux qui réfléchissent pour des montants bien plus faibles. Cette amnésie jette une lumière trouble sur celle qui déclarait le 2 septembre 2009 : "Qui peut nous aider à penser la crise, si ce n'est des économistes, des juristes, des historiens, des géographes, des philosophes, des sociologues, des anthropologues et de tous ceux qui, parce qu'ils étudient nos langages, nous apprennent parfois à nous déprendre des mots que nous utilisons ?" Doit-on déduire qu'à la question "Qui peut nous aider à penser les conséquences sociales de la mondialisation ?", il n'y ait qu'une réponse "Christine Boutin" ?

À travers son soutien, Valérie Pécresse affiche, une fois encore, son souverain mépris pour la recherche et l'Université en général et pour les sciences humaines et sociales en particulier. Au-delà des sommes en jeu et de leur caractère scandaleux notamment au regard des traitements des chercheurs et des universitaires qui font le même travail,c'est donc un autre scandale qui pointe, la déqualification des activités intellectuelles. Il y a sûrement une volonté de ne pas être confronté à des conclusions qui dérangeraient les discours officiels. Qu'il suffise de rappeler les déboires rencontrés par Jean-François Bayart, directeur de recherche au CNRS et spécialiste de la mondialisation. Mais cette affaire reflète aussi une haine de la pensée. Exagération ?

Une autre citation permettra à chacun de poursuivre la réflexion. Son auteure est également ministre, de l'Économie, autrement dit Christine Lagarde. Elle est extraite d'un discours prononcé le 10 juillet 2007 lors de la présentation du projet de loi "Travail, emploi et pouvoir d'achat" : "C’est une vieille habitude nationale : la France est un pays qui pense. Il n’y a guère une idéologie dont nous n’avons fait la théorie. Nous possédons dans nos bibliothèques de quoi discuter pour les siècles à venir. C’est pourquoi j’aimerais vous dire : assez pensé maintenant, retroussons nos manches". »

Christophe Pébarthe, maître de conférences àl'université Bordeaux 3

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