mardi 8 juin 2010

La France est-elle encore une démocratie (68) ?

Point de vue
Défenseur des droits : le Parlement bafoué
LE MONDE | 08.06.10 | 13h26

e qui s'est passé le jeudi 3 juin au Sénat ne relève pas des incidents habituels de la vie parlementaire, c'est beaucoup plus grave.

La veille, le Sénat avait à une large majorité adopté des amendements déposés par Hugues Portelli (UMP) et Nicolas About (Union centriste) visant à maintenir l'institution du Défenseur des enfants, distincte du nouveau Défenseur des droits. Le débat avait été approfondi, les scrutins avaient été publics, le vote sans appel.

Le lendemain matin, une instance élyséenne décrète que ce vote est insupportable. Il faut derechef que la majorité du Sénat revienne sur son vote. Celle-ci va s'exécuter dans la plus pitoyable confusion.

Une seconde délibération étant demandée à l'Assemblée, la commission des lois doit se réunir. Elle se réunit, mais il n'y a pas en son sein de majorité pour voter les amendements commandés par le gouvernement et présentés par le rapporteur. Qu'à cela ne tienne ! Ce dernier retire tous ses amendements... et annonce qu'ils seront repris en séance par le gouvernement. Vive la séparation des pouvoirs !

Il faut passer !

Retour dans l'Hémicycle. Mme Alliot-Marie reprend effectivement les amendements du rapporteur. Nouvelle réunion de commission. Il n'y a toujours pas de majorité. Le gouvernement se fait battre par 17 voix contre 10.

Qu'importe, il faut passer ! Le rapporteur annonce que la commission des lois a rejeté la volonté gouvernementale, mais qu'il votera les amendements à titre personnel. Les représentants de trois groupes quittent la séance, non sans avoir dénoncé cette mascarade. La majorité de la majorité s'exécute, à la notable exception d'Hugues Portelli.

Reste une question. Pourquoi, alors que le débat ne faisait que commencer, qu'il se poursuivra à l'Assemblée nationale, cette rage, cette obstination à vouloir faire plier le Sénat ? La réponse est évidente. Le nouveau Défenseur des droits est en réalité un étouffoir.

Le pouvoir en place reproche aux autorités indépendantes d'être indépendantes. Il ne supporte pas, comme l'a expliqué mon collègue Alain Anziani, que la Halde (Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité) ait dénoncé les tests ADN pour le regroupement familial, que la Défenseure des enfants ait enquêté sur la présence des enfants en centre de rétention et que la Commission nationale de déontologie de la sécurité se soit intéressée aux gardes à vue et aux fouilles à nu.

Le contrôleur des lieux de privation de liberté ne perd, quant à lui, rien pour attendre. On nous l'a dit : son tour viendra. Quand un pouvoir somme ainsi sa majorité sur un tel sujet, et que celle-ci se laisse sommer, cet acte trahit une incommensurable panique devant la si précieuse séparation des pouvoirs et devant l'indispensable liberté d'investigation d'instances libres.


Jean-Pierre Sueur, sénateur socialiste du Loiret et ancien ministre
Article paru dans l'édition du 09.06.10

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