lundi 31 août 2009

Dépêchez-vous, Mme Pécresse, on est en train de nous piquer des parts de marché...

Cf. Le Courrier International :

Sagas de riches sous les lumières de Vienne

L'université privée Webster, à Vienne, accueille une jeunesse dorée issue principalement des pays de l’Est voisins. Une vie de luxe et de légèreté à tous points de vue, racontée par l’hebdomadaire Die Zeit.

31.08.2009 | Ana Tajder | Die Zeit

On les laissera pousser sur leurs propres racines...

Non, tout de même, soyons plus optimistes sur l’éducation, la croissance et la maturité de l’être humain que dans le message précédent, où le désert, sur la photo (de quel grand photographe déjà ?) symbolisait à nos yeux plutôt le vide institutionnel et pédagogique vers quoi nous nous dirigeons que les possibilités réelles des individus.

Voyez, sur ce point, cette belle fable (enfin, c’est ainsi du moins qu’Etourneau l’a lue) trouvée dans Le Monde daté du Dimanche 9 - lundi 10 août, à la rubrique « Jardins & jardinières », sous le titre « Deux jumeaux si dissemblables ». En plus court, cela était déjà bien exprimé dans le tanka de TAWARA Machi que nous citions dans notre message du 14 juillet dernier :


Les parents disent qu'ils ont élevé leurs enfants

mais c'est en toute liberté que rougissent

les tomates des champs


« Les branches des deux gros pêchers croulent de fruits. Ils sont issus d'un semis fait au lancer de noyaux. Occupation ludique qui avait le don d'énerver la propriétaire du jardin qui les a vus naître. Cette jardinière pestait contre la manie qu'avaient ses enfants de jouer à celui qui cracherait le plus loin possible le noyau de la pêche qu'ils avaient fini de dévorer (les bushmen font bien ça avec des crottes de bique desséchées par le soleil). C'était moins pour les innombrables noyaux qu'elle retrouvait dans son jardin qu'elle pestait que pour le risque de voir ses rejetons s'étouffer en les avalant par mégarde.


Moches, pour être moches, ces deux arbres le sont : ils n'ont jamais été taillés autrement que dans le but de les rafistoler quand ils perdaient une branche trop lourde pour résister à un coup de vent ou un orage. Mais on les aime comme ça : l'un des deux penche du côté qu'il va tomber. C'est ce qu'on se dit depuis dix ans, mais il tient le coup.


Ils ont poussé très vite : avec l'âge, la force leur est venue, leurs nouvelles branches, toujours vigoureuses, sont plus costaudes. Leur tronc a forci ; son écorce s'est crevassée, et la cloque qui les ravageait a fini par les laisser tranquilles sans qu'on ait besoin de les pulvériser chaque printemps au débourrement des bourgeons pour les en protéger. Ils ont 20 ans et continuent de produire sans faillir, les années où le gel ne vient pas détruire leur floraison.


S'ils sont jumeaux, ils sont dissemblables : ils produisent des pêches identiques à des sanguines de Savoie : peau marron, tachée de rouge, chair bordeaux persillée de blanc, juteuse, sucrée, pas loin du sublime. Mais voilà, l'un des deux a des fruits de très gros calibre, mûrs dès la mi-septembre, quand l'autre a des fruits plus petits qui mûrissent un mois plus tard.


Hasard des semis de pêcher, arbre à noyaux qui, comme l'abricotier, réserve quelques surprises à qui le sème, et parfois produit une nouvelle variété apte à être cultivée. Les anciens, qui ne maîtrisaient pas toujours les lois de Mendel, semaient en grand nombre et sélectionnaient ensuite les arbres les mieux venus et les plus productifs.


Ces deux pêchers ont eut une nombreuse descendance, mais la plupart de leurs rejetons ont été arrachés. Une bonne vingtaine de plants ont cependant été distribués à des visiteurs de passage et deux beaux exemplaires ont été mis de côté. Ils vont être plantés non loin de là et conduits de façon plus rigoureuse que leurs parents, palissés à la diable, contre un grand mur protecteur.


Quels fruits produiront-ils ? On verra bien. L'avantage du pêcher, comme de l'amandier son cousin, est qu'il met à fruit très vite.


Il n'est pas impossible, si leurs pêches sont médiocres, qu'on les utilise comme porte-greffes de celui qui produit les plus gros fruits.


Sinon, on les laissera pousser sur leurs propres racines : cela a parfaitement réussi aux parents, qui pourtant ne sont pas à la noce, car leurs racines sont en terrain humide, voire très humide l'hiver. Même l'été d'ailleurs : la pelouse à leur pied reste verte, en plein cagnard, sans qu'elle reçoive le moindre arrosage. »


Alain Lompech © Le Monde

Rentrée

dimanche 30 août 2009

Un petit coup de blog du dimanche soir...


« De nos jours, quand un journal pose une question à ses lecteurs, c'est pour leur demander leur avis sur un sujet où chacun a déjà son opinion : on ne risque pas d'apprendre grand-chose. Au XVIIIe siècle, on préférait interroger le public sur des problèmes auxquels justement on n'avait pas encore de réponse. Je ne sais si c'était plus efficace ; c'était plus amusant. »

Michel Foucault

« What is Enlightenment ? » (« Qu'est-ce que les Lumières ? »), in Rabinow (P.), éd., The Foucault Reader, New York, Pantheon Books, 1984, pp. 32-50.



Repris dans Dits et écrits — 1954 - 1988, Tome IV : 1980 - 1988, Paris, Gallimard, 1994, p. 562.

samedi 29 août 2009

Schizophrénique (suite)

Nous avions intitulé notre message du 28 août : « Un état (un État ?) quasi psychotique », puis à la lecture de l’éditorial du Monde daté du 29, nous lui avions ajouté : [ou aurions-nous dû écrire « schizophrénique » ?]. Or est-ce le hasard ? Une concertation éditoriale subtile ? Ou une convergence naturelle dû à l’esprit du temps ? Toujours est-il qu’on retrouve le terme « schizophrénique » dans un entretien paru dans le même numéro du Monde sous le titre inquiétant " La justice ne juge plus, elle condamne ", propos recueillis auprès d’un ancien magistrat par Josyane Savigneau qui le présente de la façon suivante : « Avocat, puis magistrat, Samuel Corto a démissionné de ses fonctions pour écrire " Parquet flottant ", un roman qui dépeint un univers professionnel sclérosé, véritable paradis pour les obsessionnels. Il a 46 ans et a pris le pseudonyme de Samuel Corto pour publier un premier roman, Parquet flottant (Denoël, 190 p., 16 euros). Son héros, Etienne Lanos, est magistrat dans un tribunal de province. Confronté à une justice sclérosée et détournée de sa véritable fonction, il dresse un constat impitoyable de la situation. »


À la lecture de cet entretien, on ne peut s’empêcher de trouver des parallélismes confondants entre les problèmes suscités par la réforme de la justice et ceux plus violemment soulevés par la réforme de l’université. Samuel Corto lui-même d’ailleurs nous invite clairement au cours de l’interview à opérer ce genre de rapprochement :


« Dans ce roman, j'ai choisi la justice comme terrain de jeu parce que c'est un milieu que je connais un peu. Mais je pense que les constats désabusés de mon personnage sont tout à fait transposables dans d'autres secteurs de la société, par exemple dans un hôpital ou un ministère.

Ce qui m'est apparu en écrivant ce livre, c'est peut-être que la conception paternelle de l'Etat-providence a vécu. On dirait que les pouvoirs publics se sont mis à détester les êtres humains, considérés désormais comme des facteurs de coûts exorbitants - malades, justiciables, élèves... »


Et en de nombreux endroits, en effet, on ne peut résister à l’envie d’ajouter entre crochets le mot [université], chaque fois que paraît le mot « justice ». Tout en sachant que l’on pourrait tout aussi bien ajouter d’autres secteurs réformés ou réformisables :


« Pour ceux qui continuent à rattacher la justice [l’université] [la presse] à son sens cardinal de vertu [savoir] [liberté], cela peut être troublant. En contrepartie, il n'est pas interdit de penser qu'il y a là, au fond, une demande collective à être maltraité, à laquelle les pouvoirs publics ne font que répondre par opportunité. »


Citons encore quelques extraits significatifs et parallélisables :


« " Dans n'importe quel milieu adapté, les fous sont repérés et éliminés des champs de décision ", écrivez-vous. Pas dans la justice [à l’université] ?


Même sortie de son contexte, la formule reste d'abord littéraire. Pour autant, je persiste à penser que dans la magistrature, notamment au parquet, [à l’université] il n'y a pas de reconditionnement des incontrôlables. Les histoires fictives que j'ai racontées dépeignent un univers professionnel dépourvu de centre, composé d'individus mobiles, incapables d'imposer la moindre empreinte personnelle sur leur travail. La justice [l’université] a alors l'air de fonctionner sur la surenchère statistique et la récompense des plus serviles. Elle reste, comme beaucoup d'autres lieux de la société maintenant, un paradis pour les obsessionnels. »


Ou bien encore :


« Dans ce parquet de province où est votre héros, on ne semble pas encore arrivé au XXe siècle...


Je ne suis pas sûr que le fait que l'histoire se déroule en province change beaucoup de choses. […] Je suis trop peu informé pour savoir si l'institution a, dans sa mentalité, fondamentalement changé depuis le XIXe siècle. J'en doute. […] Etienne Lanos prend conscience qu'il ne pourra rien réformer de l'intérieur et il choisit finalement de s'amuser de son désenchantement. »


Et enfin, cette réponse où apparaît l’adjectif « schizophrénique », qui fait l’objet même du titre et du sens de notre message :


« La justice est-elle réformable ?


J'espère que personne n'attendait Etienne Lanos pour résoudre cette question ! En fait, il y a eu, avec ce roman, une coïncidence amusante : je l'ai écrit de mars à juin 2008. En juillet 2008, la Cour européenne des droits de l'homme a rendu un arrêt qui considère que le ministère public français n'est pas un organe judiciaire, faute d'indépendance à l'égard du pouvoir politique. Comme j'annonce, dans le livre, la mort programmée du ministère public, je me retrouve presque avec un roman d'anticipation... Tout cela pour dire que la réforme de la justice s'annonce désormais sur un mode explosif, voire révolutionnaire, car l'ambiguïté entre la soumission hiérarchique des magistrats du parquet et leur indépendance statutaire affichée provoque un sentiment schizophrénique insupportable pour beaucoup. »


Vous estimez que la bureaucratie a envahi toute la société...


Oui, on est contrôlé pour savoir si on punit bien et si on ne pourrait pas punir plus encore. »


OUI ! On a bien lu, et on a toujours une envie aussi grande de réécrire ;


Tout cela pour dire que la réforme de l’université s'annonce désormais sur un mode explosif, voire révolutionnaire, car l'ambiguïté entre la soumission hiérarchique des enseignant-chercheurs et leur indépendance statutaire affichée provoque un sentiment schizophrénique insupportable pour beaucoup.


ET :


Oui, on est contrôlé pour savoir si on punit bien et si on ne pourrait pas punir plus encore.


Où il n’y aurait malheureusement rien à réécrire !


vendredi 28 août 2009

Le désert idéologique français

« rien de fort, rien de bâti,

rien de vigoureux, rien de cohérent :

tout au plus des échappées

parmi les futaies. »


Texte complet :

http://mostwanted.over-blog.net/article-35356764.html

Photo : BA, tous droits réservés...


Un état (un État ?) quasi psychotique [ou aurions-nous dû écrire « schizophrénique » ?]

Un article, relativement bienveillant — qui essaye de comprendre et de donner la parole —, est paru dans L'Express sur le mouvement des « désobéisseurs » dans l'école primaire :
Comme c'est devenu l'habitude, ces temps-ci, dès qu'il est question d'éducation, un tombereau de haine a été déversé dans les réactions par tous ceux qui voudraient que le mot « fonctionnaire » soit synonyme de « militaire » ou plutôt de « mercenaire » (encore qu'on soupçonne qu'une obéissance aveugle ne soit pas forcément la garantie à long terme d'opérations militaires réussies... mieux vaudrait une obéissance intelligente, et qui dit intelligence...). Un tombereau déversé par tous ceux qui n'admettent pas que la réalité des faits et l'évolution des événements ne peuvent se laisser enfermer dans des programmes politiques ou économiques élaborés et votés tous les quatre ou cinq ans, alors même que les yeux (et l'esprit) sont quasiment fermés, hypnotisés par la télévision, et autres médias ! Par tous ceux, enfin, qui n'admettent pas la nécessité d'un contrôle citoyen de l'action publique — d'une « évaluation » citoyenne a posteriori, mais mieux encore « en temps réel », c'est-à-dire avant catastrophe (C'est ainsi que l'action gouvernementale et militaire a été contrôlée jour après jour, sinon heure par heure, par la représentation nationale durant la Grande Guerre, dont on sait qu'elle s'est soldée par une victoire...).
Obéir sans réfléchir, ce n'est pas seulement faire preuve d'un manque d'intelligence, et, en l'occurrence, d'un manque d'intelligence de son métier, mais c'est surtout prendre le risque, infiniment plus grand, de sortir complètement de la réalité, et de s'installer dans un état (un État ?) quasi psychotique [ou aurions-nous dû écrire « schizophrénique », terme retenu par l'éditorial du Monde de ce soir, à propos de l'emploi des seniors, quand les entreprises, poussées par la réalité économique, font en réalité le contraire de ce qu'elles disent vouloir faire... ]
Chose assez rare dans ce genre d'échange nettique, la rédaction de l'Express elle-même a cru bon de se défendre contre la réaction de l'association « SOS éducation » qui contestait la pertinence pour ce magazine de relayer ce que cet étrange avatar considère pour sa part comme des « élucubrations ». Sans trop se mouiller, il est vrai, en répondant par exemple que : « les "élucubrations" des uns sont les credos des autres ». Et en se protégeant derrière l'objectivité attendue de la part d'une authentique déontologie journalistique : « quoi que vous en pensiez ou nous en pensions ». On peut toutefois s'inquiéter de savoir jusqu'où pourrait nous mener un tel relativisme ! Et on peut craindre qu'il ne soit porteur d'aucun remède dans les guerres idéologiques, et encore moins, dans d'éventuelles guerres de religion.
Yves Madiran a cru bon d'intervenir par 2 fois dans cette discussion. Cela paraît un peu vain ! Enfin, il faut bien trouver un exutoire à son indignation...

Yves Madiran - 26/08/2009 19:41:49

A la droite de M. Refalo [un des leaders des « désobéisseurs »], sur la photo, on reconnaît visiblement M. Pierre Cohen, député-maire socialiste de Toulouse. Peut-être eût-il convenu de le préciser, dans un souci d'informer plus complètement vos lecteurs ? Ainsi SOS-Éducation aurait-il pu se demander plus largement si ces « élucubrations » n'avaient pas par ailleurs la caution d'hommes politiques responsables, représentants de la Nation.

Yves Madiran - 28/08/2009 10:11:28

A lire la plupart des réactions à cet article, on commence à comprendre pourquoi les entreprises françaises sont souvent si peu performantes, si peu innovantes, et courent à la faillite : aucune place à la discussion, à la délibération, au consensus, aux remises en question salutaires du management et des projets. Du moins d'après ce que nous en expliquent ces lecteurs de l'Express. C'est-à-dire au fond qu'en réalité, le travail de formation est si bien fait dans notre pays que la majorité des gens ont intégré mentalement un fonctionnement du travail et de la société reposant essentiellement sur l'obéissance aveugle et la servitude volontaire. Et puis, en ce qui concerne la démocratie des urnes, Napoléon III, lui aussi, était démocratiquement élu. Fera-t-on pour autant du Second empire un modèle de démocratie ?


jeudi 27 août 2009

Faut-il imiter les Etats-Unis ? (Suite - n° 4)


Lu dans la nécrologie d'Edward « Ted » Kennedy, établie par Sylvain Cypel pour Le Monde daté d'aujourd'hui :

« Il avait fait du respect du système constitutionnel américain - le “ checks and balances ” (l'équilibre dans la séparation des pouvoirs) - la pierre angulaire de sa philosohie politique. »

Misère matérielle...

Mardi, nous évoquions, à propos du sombre tableau sur la misère matérielle des universités brossé en 2000 par Jean-Fabien Spitz dans son article de la revue « le débat » — misère qu'on n'a guère vue rapidement se résorber depuis ! —, ce petit milliard mis en réserve par la BNP pour verser des bonus à ses traders. Mais aujourd'hui, ce n'est pas moins de 70 milliards que l'on renonce à prélever sur les niches fiscales ! La tête vous en tourne : qu'est-ce que tout cela au regard des petits millions qu'on saupoudre à l'aveuglette sur les universités en attendant de les faire financer par l'économie privée et les usagers...

Le toilettage des niches fiscales reporté
LEMONDE.FR avec Reuters | 26.08.09 | 21h28 • Mis à jour le 26.08.09 | 21h39

es députés UMP Gilles Carrez et Pierre Méhaignerie renoncent à leur offensive contre les niches fiscales dans le projet de budget pour 2009, selon La Tribune du jeudi 27 août.

Pour préserver des recettes fiscales qui s'effondrent sous l'effet de la crise, les députés de la majorité se déclaraient prêts soit à diminuer toutes les réductions d'impôts de 10 %, soit à instaurer une franchise de 1 % sur le total des réductions que peut cumuler un contribuable par le biais des niches.

Ces dépenses fiscales, au nombre de 469 en 2009, représentent un coût de près de 70 milliards d'euros cette année selon les documents budgétaires, souligne La Tribune. Mais Gilles Carrez, rapporteur général du Budget, et Pierre Méhaignerie, président de la commission des affaires sociales de l'Assemblée, à l'origine de cette nouvelle offensive, "ont décidé que finalement il était urgent de ne rien faire", écrit le quotidien.

Les deux députés avancent plusieurs arguments pour expliquer ce recul. Pour Gilles Carrez, "il aurait été ennuyeux de décider de nouvelles limitations des niches fiscales alors même qu'aucun bilan des décisions prises à l'automne dernier n'a été effectué". "Avec le débat sur la taxe carbone, il fallait éviter de prêter le flanc à la critique d'une droite alourdissant la fiscalité", souligne de son côté Pierre Méhaignerie.


mercredi 26 août 2009

Cette limite de l’impossible, du “ peut-être ” et du “ si ”

Dans nos derniers messages, nous avons pu commencer à constater combien une riche réflexion — une réflexion dont les politiques n’ont tenu aucun compte... — sur les problèmes de l’université s’était développée au tournant des vingtième et vingt-et-unième siècles. Les critiques exposées par Jean-Marc Mandosio et Jean-Fabien Spitz en témoignent. Le père du déconstructionnisme, Jacques Derrida, ne pouvait guère demeurer en reste. Mais c’est l’honneur de l’université américaine




de lui avoir demandé une conférence sur la possibilité de l’impossible université, particulièrement de l’impossible des humanités : « Cette conférence fut d’abord prononcée en anglais à l’université de Stanford, en Californie, en avril 1998, dans la série des Presidential Lectures.

J’avais alors été invité à traiter, de préférence, de l’art et des humanités dans l’université de demain. Le titre initial de la conférence fut donc : L’avenir de la profession ou L’université sans condition (grâce aux “ Humanités ”, ce qui pourrait avoir lieu demain) »

C’est ainsi que Jacques Derrida rappelait en exergue du texte de sa conférence — publié à Paris en 2001 aux édition Galilée sous le titre L’Université sans condition — les circonstances dans lesquelles il avait été amené à la prononcer. Il terminait son discours par cette phrase que l’on peut juger concrètement prophétique : « Prenez votre temps mais dépêchez-vous de le faire, car vous ne savez pas ce qui vous attend. »

En effet, nous ne savions pas vraiment ce qui nous attendait, c’est-à-dire, pour reprendre les propres termes de Derrida, la réappropriation de l’université par les forces politiques, juridiques, économiques, etc. Une réappropriation faite avec un degré de brutalité inimaginable au vu de toutes nos traditions.

Dans ses conclusions et propositions, Derrida lance un appel (déjà) à une contre-offensive inventive de l’université. mais il ne cache pas que cette résistance ne pourrait s’organiser que dans la mesure où l’université — toujours divisible — ferait appel à l’extérieur d’elle-même, tout en restant telle qu’en elle-même. Plus concrètement, dans la mesure où elle ferait appel à des forces « extra-académiques ». Mais le pessimisme se fait jour, qui est aussi un optimisme : ce n’est pas nécessairement dans le cadre de l’institution établie (et brutalement réformée) que l’on pourrait retrouver ou plutôt reconstruire une université « sans condition ». Laissons à Pécresse ce qui est à Pécresse...


« Cette limite de l’impossible, du “ peut-être ” et du “ si ”, voilà le lieu où l’université divisible s’expose à la réalité, aux forces du dehors (qu’elles soient culturelles, idéologiques, politiques, économiques ou autres). C’est là que l’université est dans le monde qu’elle tente de penser. Sur cette frontière elle doit donc négocier et organiser sa résistance. Et prendre ses responsabilités. Non pas pour se clore et pour reconstituer ce fantasme abstrait de souveraineté dont elle aura peut-être commencé à déconstruire l’héritage théologique ou humaniste, si du moins elle a commencé à le faire. Mais pour résister effectivement, en s’alliant à des forces extra-académiques, pour opposer une contre-offensive inventive, par ses œuvres, à toutes les tentatives de réappropriation (politique, juridique, économique, etc.), à toutes les autres figures de la souveraineté.

Autre façon d’en appeler à une autre topologie : l’université sans condition ne se situe pas nécessairement, ni exclusivement, dans l’enceinte de ce qu’on appelle aujourd’hui l’université. Elle n’est pas nécessairement, exclusivement, exemplairement représentée dans la figure du professeur. Elle a lieu, elle cherche son lieu partout où cette inconditionnalité peut s’annoncer. Partout où elle (se) donne, peut-être, à penser. Parfois au-delà même, sans doute, d’une logique et d’un lexique de la « condition ” »

mardi 25 août 2009

Des « années blanches » : une bonne idée pour Mme Pécresse !

« Mauvaise nouvelle pour les étudiants de la faculté de médecine et la faculté polytechnique de l'Université de Kinshasa. Le gouvernement vient de décider d'invalider plusieurs années académiques, des années blanches, pour remettre un peu d'ordre dans des cursus anarchiques. En effet, certains enseignements traînant en longueur plusieurs années académiques se chevauchent à l'Unikin. »

Source : Radio France Internationale

Misère intellectuelle...

C’est en l’an de grâce 2000 aussi, tout comme le livre de Jean-Marc Mandosio, Après l’effondrement — Notes sur l’utopie néotechnologique, dont nous avons rendu compte dans un précédent message, que paraissait, en ouverture du n°108/janvier-février de la prestigieuse revue « le débat » (Gallimard) un article signé par un professeur de philosophie de l’université de Caen, Jean-Fabien Spitz, et intitulé « Les trois misères de l’universitaire ordinaire ».

Jean-Fabien Spitz conclut une première partie portant sur « la misère matérielle » de l’université sur l’idée — ou le fait plutôt — que « l’Université française ressemble à celles du tiers monde plus qu’à celles des pays développés auxquels nous prétendons nous comparer ». Puis, avant d’aborder la troisième des misères qui accablent selon lui l’universitaire, la misère morale, il commence ainsi sa seconde partie traitant de la misère intellectuelle :


« Plus que la misère matérielle — qui peut avoir sa noblesse après tout —, c’est cependant la misère intellectuelle qu’il faut souligner. On l’a dit, la plupart des enseignants de l’Université sont des gens qui ont d’abord choisi de s’intéresser à un domaine, à une discipline, à un sujet, de consacrer leur vie à l’étudier et à l’enseigner. Or, soumis à l’alourdissement incessant de ses tâches diverses, à la multiplication des sessions d’examen, au bombardement continu de projets de réforme dont il finit par ne même plus savoir ce qu’ils contiennent et qui remplacent les précédents avant même que l’on ait pu, ne disons pas s’habituer, mais comprendre même leurs implications et leurs effets, l’universitaire perd toute passion intellectuelle car, il faut le dire, une telle passion ne s’épanouit que dans une relative protection et dans une relative quiétude. Si l’on veut que les enseignants-chercheurs conservent une part de leur énergie et de leur appétit de savoir, il faut leur offrir au moins la perspective d’accéder à des havres relatifs où cette protection et cette quiétude ne sont pas considérées comme des privilèges exorbitants, à des établissements qui leur permettraient de poursuivre leurs recherches sans être en permanence traversés par la question de la réforme des institutions où ils sont censés travailler.

Le premier signe de la misère intellectuelle en milieu enseignant est donc qu’on n’y entend aucune conversation, aucun échange de propos consacré aux objets dont les universitaires sont censés s’occuper. Partout, il n’est question que des modalités d’organisation ou de réorganisation (permanente) des enseignements, de la commission sur ceci, de la réunion sur cela, de la circulaire X qui contredit l’arrêté Y, etc. Passons sous silence ici, puisqu’il en a été question plus haut, le fait que la seule chose qui soit capable de sortir l’homo universitarius de sa profonde torpeur est le jeu byzantin auquel donnent lieu les réunions des fameuses commissions de spécialistes où l’on fait semblant de recruter les futurs collègues.

Ayons le courage de le dire : l’Université est un lieu où règne l’anti-intellectualisme, où les enseignants sont en butte à l’hostilité à peine dissimulée d’une bureaucratie d’aigris qui considèrent que le loisir dont certains universitaires veulent malgré tout continuer à jouir est un scandale pur et simple qui les autorise — eux — à ne rien faire et à montrer une totale incompétence et une totale inefficacité dans leurs tâches. »


Commentaires (non exhaustifs) :

Notons d’entrée de jeu que rien n’aura été fait pour remédier à ce constat. Tout aura été fait, au contraire pour aggraver, dans toute la mesure du possible, la misère intellectuelle et morale de l’universitaire (c’est au moins le sens minimal du long mouvement du printemps dernier...). Quant à la misère matérielle, le retard accumulé est tel que la réquisition de tous les bonus des traders des banques françaises ne suffirait sans doute pas à le combler (comparons par exemple le « milliard d'euros provisionnés par la BNP pour payer les bonus de ses traders en 2009 » (éditorial du Monde daté de ce jour) avec les 16 millions promis par Mme Pécresse pour l'informatique à l'université : 10 millions pour la wifi partout, et le reste pour la mise en ligne de cours...) !


1. « une telle passion ne s’épanouit que dans une relative protection et dans une relative quiétude. Si l’on veut que les enseignants-chercheurs conservent une part de leur énergie et de leur appétit de savoir, il faut leur offrir au moins la perspective d’accéder à des havres relatifs où cette protection et cette quiétude ne sont pas considérées comme des privilèges exorbitants »

C’est précisément cette relative quiétude (« il y a de la lumière, c’est chauffé... déjà fatigué » qu’a remis en cause le chanoine du Latran dans son fameux discours du 22 janvier dernier (cf. You Tub : http://www.youtube.com/watch?v=iyBXfmrVhrk) qui a mis le feu aux poudres dans l’université !

2. « le jeu byzantin auquel donnent lieu les réunions des fameuses commissions de spécialistes où l’on fait semblant de recruter les futurs collègues ».

Cf. notre précédent message du jeudi 23 juillet 2009 intitulé « L’Empire byzantin avant sa disparition ? » Précisons pour nos lecteurs peu informés des mœurs universitaires que si Jean-Fabien Spitz écrit que l’on « fait semblant » de recruter de futurs collègues, c’est que, dans l’immense majorité des cas, les jeux sont faits par avance au gré de téléphonages, tractations occultes, recommandations ou ostracismes non moins occultes, toutes pratiques frisant l’illégalité...

3. « une bureaucratie d’aigris qui considèrent que le loisir dont certains universitaires veulent malgré tout continuer à jouir est un scandale pur et simple qui les autorise — eux — à ne rien faire et à montrer une totale incompétence et une totale inefficacité dans leurs tâches. »

Ici sont visés en priorité les enseignants-chercheurs qui ont abandonné progressivement, ou brutalement, leurs recherches, et parfois aussi leurs enseignements, pour s’investir uniquement dans des tâches de direction administrative ou autre. Ceux-ci, en général, se montrent très contents des réformes actuelles qui leur donnent de meilleures perspectives de carrière et de rémunération, une meilleure reconnaissance institutionnelle, médiatique et sociétale (avant qu’ils ne soient remplacés par des représentants de la société civile et économique...). Cf. Le Monde daté du 18 août 2009 « Enseignant-chercheur — Les tâches autres que l'enseignement et la recherche officiellement reconnues » : « Les universités disposent désormais d'un barème national pour rémunérer les enseignants-chercheurs pour les tâches autres que l'enseignement et la recherche. L'arrêté reprenant le " référentiel " national d'équivalences horaires pour des tâches comme le tutorat, l'encadrement de stage ou la prise en charge d'équipe pédagogique a été publié au Journal officiel du 14 août. Demandé au printemps lors du mouvement contre le nouveau décret statutaire des universitaires, ce référentiel a été négocié avec les syndicats. © Le Monde »

Quand on lit cet encouragement officiel, cette prime à faire autre chose que, principalement, de l’enseignement et de la recherche, quand on prend conscience de cet embrigadement nationalement tarifé (où va l’autonomie ?), on comprend facilement que les attentes d’un Jean-Fabien Spitz, ou d’un Jean-Marc Mandosio, et de quelques autres, ne sont pas près d’être comblées !

lundi 24 août 2009

Une nouvelle sophistique : où comment le « ministère dixit » a remplacé » le « magister dixit »


Nous avons le plaisir de signaler à la sagacité de nos fidèles lecteurs, au cas où son existence leur aurait échappé, le livre tout à fait roboratif et réjouissant de Jean-Marc Mandosio, Après l’effondrement — Notes sur l’utopie néotechnologique, livre paru à Paris, en l’an de grâce 2000, aux Éditions de l’Encyclopédie des Nuisances. Jean-Marc Mandosio est maître de conférences à l’EPHE (École pratique des Hautes Études), et traitera au titre des conférences 2009-2010 du « De magia naturali de Jacques Lefèvre d’Étaples — textes alchimiques médiévaux », dans le cadre de la section « Sciences historiques et philologiques », sous-section « Latin technique du XIIe au XVIIIe siècle ».

C’est assez dire que, placé au cœur de l’institution, cet auteur est certainement un des mieux à même d’en percevoir, sinon l’effondrement, du moins les alchimies les plus mystérieuses et délétères...

Jean-Marc Mandosio est par ailleurs l’auteur (entre autres) d’un livre tout aussi réjouissant sur les avatars et avanies de la TGBNF, livre sur lequel nous ne manquerons pas de revenir : L'effondrement de la très grande bibliothèque nationale de France: Ses causes, ses conséquences (même éditeur, 1999).

En 2000, Jean-Marc Mandosio, dénonçait donc déjà un système d’évaluation scientifique dont la mise en place se voit aujourd’hui parachevée, institutionnalisée dans toutes ses dimensions négatives par les actuelles réformes gouvernementales dont, notamment, la création de l’AERES (Agence d’Évaluation de la Recherche et de l’Enseignement Supérieur) en mars 2007...

Après avoir montré comment sont officiellement financées et hautement évaluées des recherches aussi passionnantes et utiles à la société que celles démontrant, par exemple, les effets du chewing-gum sur le développement de la mémoire et de l’intelligence, ou bien encore ses vertus thérapeutiques amaigrissantes, Jean-Marc Mandosio remonte aux sources épistémologiques qui peuvent expliquer de tels phénomènes décadents :


« Ce que l’on appelle aujourd’hui un travail scientifique est, tout simplement, un travail publié dans une revue tenue pour scientifique par un individu ou une équipe appartenant à une institution dite de “ recherche ”. Ce n’est pas sur son contenu que l’on s’appuie pour le considérer comme scientifique, mais sur des critères absolument extérieurs, qui relèvent de l’argument d’autorité. Le C.N.R.S. et l’Université, bien en peine d’“ évaluer ” la production de leurs employés ou de ceux qui sont candidats à l’être, mettent désormais l’accent sur le nombre de publications d’un auteur et la fréquence des citations de ses travaux (évaluation “ bibliométrique ” établie à partir de répertoires statistiques internationaux) pour juger de sa valeur scientifique. Le recours à des critères aussi peu fiables comme mesure prétendument objective de la qualité est la conséquence de l’hyper-spécialisation des travaux, devenue telle que même les habituelles procédures de cooptation et d’“ évaluation par les pairs ” se révèlent inefficaces (outre que ces procédures, comme nous l’avons déjà indiqué, sont biaisées par des considérations — rivalités, retours d’ascenseur — qui n’ont rien à voir avec les qualités scientifiques des personnes ainsi évaluées).

Est donc “ scientifique ” celui dont la carte de visite dit qu’il l’est. Cette dissolution de tout critère de jugement au profit du seul principe d’autorité est la conséquence directe de la disparition progressive du souci d’objectivité dans les travaux scientifiques eux-mêmes. Le vieux dogmatisme scientiste ayant été — salutairement — démoli à coups de marteau par les « philosophes du soupçon », un relativisme épistémologique a surgi à sa place, d’abord avec le structuralisme, puis le déconstructionnisme postmoderne. Ce relativisme décrète que l’objectivité, la vérité, sont de pures illusions : les faits n’existent qu’en tant qu’ils sont des “ constructions ” de l’esprit — d’où la “ déconstruction ”, destinée à montrer que la vérité ne réside pas, comme l’ont naïvement cru les philosophes des siècles passés, dans la congruence d’une chose et de l’idée que nous nous en faisons, dans l’adéquation entre les idées et les faits, mais qu’elle n’est qu’une “ stratégie discursive ”, un appareil rhétorique produisant des “ effets de vérité ”. A l’affirmation “ il pleut ” proférée sous une pluie battante, un relativiste conséquent devra répondre : “ C’est votre opinion. ” Et il vous montrera que la structure de votre discours vise à susciter chez l’auditeur la persuasion qu’en effet, il pleut. La philosophie de notre époque, qui n’est rien d’autre qu’une sophistique, aboutit ainsi à légitimer la conception que les journalistes et les politiciens se font de la vérité : une question de point de vue. » (p. 96-97)


À méditer... (et merci à FloMad !)


L'ivresse des cimes ?

samedi 15 août 2009

15 août 1945 : capitulation sans condition du Japon

Après que nous avons perdu à la guerre



Après que nous avons perdu à la guerre

Dix millions de bébés sont nés


Voilà pourquoi la mer est toute bleue

Le ciel, voilà pourquoi il est tout bleu


Regardez donc comme du sang

Les taches du soleil rouge


En cendres en cendres en cendres

La moitié du vieux vingtième siècle


Tout est à refaire, dit le grillon boiteux

Au fond des forêts dont les feuilles sont tombées


Un pli de colline tranquille

La fleur de haricot dans les champs de l’hiver


Qu’a donc laissé l’Histoire

Les nuages sont venus et ont tout effacé


Ciel tout bleu

Mer toute bleue


Des avions là-bas sont tombés

Des bateaux là-bas ont coulé


Auprès des poèmes du Manyôshû

Entendre le sifflement des balles


Au fond des buissons frappés çà et là

De quoi est-ce le fantôme ?


Pourtant tout bleus

Le ciel et la mer


Après que nous avons perdu à la guerre

Dix millions de bébés sont nés


1946


MIYOSHI Tatsuji (1900-1964)


Traduction tous droits réservés

vendredi 14 août 2009

Quand l'université sera devenue une entreprise...

Un entretien très intéressant a paru dans Le Monde daté du 14 août 2009. Francine Aizicovici y a recueilli les propos de Christophe Dejours, titulaire de la chaire psychanalyse-santé-travail au Conservatoire national des arts et métiers (CNAM), et coauteur, avec Florence Bègue, de Suicide et travail, que faire ?, à paraître le 2 septembre aux Presses universitaires de France (PUF).

Les titres de cet entretien, dépassant le cadre déjà terrible de France Télécom, nous invitent à réfléchir sur les effets possibles de la restructuration/privatisation larvée en cours dans l'université ou ailleurs :


" Le suicide au travail est le plus souvent lié à une transformation de l'organisation "

Le psychanalyste Christophe Dejours plaide pour une reconstruction du " vivre ensemble " et de la solidarité dans les entreprises.


Citons ici les trois dernières questions de l'entretien avec leurs réponses :


«— Les fragilités individuelles ne pèsent donc pas ?

— Chacun a ses fragilités. Il faut cesser de penser l'organisation du travail pour des êtres humains idéaux qui n'existent pas. C'est vrai qu'en général, le salarié qui se suicide a des difficultés personnelles. Mais expliquer ainsi son geste, comme le font les directions, c'est s'appuyer sur l'idée d'une coupure entre vie personnelle et vie au travail. Or, sur le plan psychique, elle n'existe pas. Quand quelqu'un souffre au travail, cela vient dégrader sa vie personnelle.

— La crise économique aggrave-t-elle le risque de suicides ?

— Nous n'avons pas de statistiques, mais la crise ne suffit pas à aggraver ce risque. Ce qui joue, c'est l'absence de remise en question d'une organisation du travail qui produit 300 à 400 suicides par an et une montée des pathologies mentales.

Que préconisez-vous ?

Il y a trente ou quarante ans, le harcèlement, les injustices existaient, mais il n'y avait pas de suicides au travail. Leur apparition est liée à la déstructuration des solidarités entre les salariés. Celles-ci ont été broyées par l'évaluation individuelle des performances, qui crée de la concurrence entre les gens, de la haine même. Cette évaluation doit être remise en question, et je connais des entreprises qui le font. Il faut se réinterroger sur ce qu'est le travail collectif, la coopération. Cette dernière passe par l'instauration de règles de métier, qui organisent le " vivre ensemble ". »


On notera que ce que les réformes en cours pour l'université prévoient de renforcer au maximum (car cela existait bien sûr déjà à assez bonne dose), c'est précisément « l'évaluation individuelle des performances ». Avec a priori les mêmes méthodes managériales que celles qui ont présidé aux privatisations de France Télécom, les présidents d'université devenant des chefs d'entreprise tout puissants. Sur un terreau aussi délicat psychologiquement que les universitaires (LOL?), bonjour les dégâts... Sans compter qu'il va y avoir la poste aussi, et tout le fonctionnariat, bientôt... Qui a dit déjà que tout ETAT divisé contre lui-même court à la ruine et que les maisons s'y écrouleront l'une sur l'autre ? Madame Boutin n'est plus là pour le leur rappeler, et il est douteux que le chanoine du Latran ait fait son programme des paroles de celui que nous citons ici !

Les méfaits d'une telle déstructuration sont donc bien connus, les remèdes aussi. Faudra-t-il attendre que les universités, et les entreprises privatisées s'écroulent l'une sur l'autre pour réagir ?

Puisqu'on parle de réagir, parmi les 11 réactions qu'a suscitées cet entretien sur l'édition abonnés en ligne du Monde, retenons-en une en particulier qui dessine très bien ce qui risque de s'accentuer encore davantage dans le fonctionnement journalier de nos universités, au détriment de ce qui serait le plus nécessaire pour la construction (ou plutôt reconstruction) d'équipes d'enseignement et de recherche vraiment solidaires et performantes :


Patrick G.

13.08.09 | 19h54


Ceux qu'on appelle les "petits chefs", les "lèche-bottes" pour être poli, ceux qui ont soif d'avancement, rapidement repérés par les chefs d'entreprise, ont vite fait de semer la discorde dans un service et de trouver celui qui deviendra le souffre-douleur. Le maillon faible, selon l'expression actuelle et vis à vis duquel certains prendront un malin plaisir à faire sauter. Pauvre société entièrement désunie et folle. Mais les fous ne sont pas ceux forcément auxquels nous pensons.


Le Monde en ligne illustre l'entretien d'une photo qui préfigure aussi peut-être le futur enseignant-chercheur au new look preppy que nous évoquions précédemment :